Frànçois Atlas – Les Fleurs Du Mal


Reprendre les vers et les mots de Charles Baudelaire, pour un artiste français, c’est se confronter à un monument inaccessible. Enseigné au lycée et parfois même avant, adoré par beaucoup qui ne connaissent que son nom et le titre de son recueil le plus fameux (Les Fleurs du Mal, 1867), considéré, sur le sol qui l’a vu naître (celui du territoire français), comme l’un des plus grands poètes de tous les temps (la place est alternativement, aussi, occupée par Hugo, Rimbaud, Verlaine…) après l’avoir pourtant fait condamner (dans les années 1860, certains poèmes des Fleurs du Mal sont censurés pour cause d’ « outrage à la morale publique » et « offense à la morale religieuse »), Baudelaire, porté par cette auréole romantique qui ne le quitte pas depuis plus d’un siècle (les chats, l’absinthe, la came, le spleen, l’élégance en redingote et en noir et blanc gravée dans le marbre du temps par le photographe Nadar), est le symbole, a posteriori, d’une certaine poésie fantasmagorique à la française, provocatrice et passionnée, sacrilège et maudite. Punk avant l’heure, et dandy désinvolte ? L’Angleterre a Oscar Wilde, et la France a Baudelaire.

Charles Baudelaire par Félix Nadar

Frànçois Marry, chanteur et fondateur du projet de pop (complexe et ouverte) Frànçois and the Atlas Mountains, a lui aussi lu Baudelaire, à l’école et ailleurs. Arrivé à Paris après avoir longtemps habité autre part (Saintes, Bristol, Bruxelles), le Français s’est retrouvé au Musée de la Vie romantique à reprendre quelques vers de Baudelaire. Et a décidé, puisqu’il se sentait bien dans ses habits, de poursuivre le projet sur disque. Conscient du poids qu’il décidait de porter dans un pays qui goute peu au sacrifice de ses propres idoles, Frànçois, malin, prenait le parti d’un album épuré et, loin de Léo Ferré par exemple, qui avait souvent repris Baudelaire (Les Fleurs du Mal en 1957, Léo Ferré chante Baudelaire en 1967, et Les Fleurs du Mal (suite et fin) en 1977), cherchait dans la sobriété la voix de l’hommage modeste.

Jean-Louis Murat – Les Fleurs du Mal

Visuellement parlant, aussi, il fallait se montrer à la hauteur. Et s’écarter, aussi, des visuels franchement kitsch que ses prédécesseurs (Léo Ferré, Jean-Louis Murat…) avaient choisi d’utiliser afin d’illustrer leurs albums de reprises du poète parisien. Une séance photo, signée Margaux Shore, avait bien mis Frànçois en scène dans les habits de Baudelaire, conforme à l’image, encore une fois, que le photographe Félix Nadar, l’un de ses amis, avait prise de lui dans les années 1860. Mais la série a été utilisée en guise de promotion presse, et pas directement en guise de pochette de disque. C’est un dessin de Frànçois lui-même qui a finalement été choisi, décision heureuse que Frànçois, qui a bien bossé son sujet – commente pour Néoprisme :

Frànçois Marry par Margaux Shore

Apollonie, fleur du Mal

« Pour la pochette des Fleurs Du Mal j’ai fait un dessin au crayon de couleur. Il représente une sculpture visible au Musée d’Orsay intitulée Femme Piquée par un serpent. Une œuvre qu’Auguste Clésinger a moulé sur le buste d’Apollonie Sabatier, une semi-mondaine qui fut l’amante et la correspondante de Charles Baudelaire. Nombre de poèmes des Fleurs du Mal lui sont adressés.

On avait fait plusieurs essais de pochettes en utilisant des photos de la sculpture mais le rendu était trop austère. J’ai utilisé un ‘crayon magique’ dont la mine est composée de plusieurs couleurs.

J’ai une nouvelle fois eu recours à une technique qui m’accompagne depuis de nombreuses années : le dessin à partir d’images inversées. J’ai développé cette technique lors de bricolages visuels pour divers projets dans les années 2000, notamment pour des clips d’animations. En manipulant de vieux négatifs photographiques, l’aspect ludique et brillant des couleurs inversées m’a séduit. J’ai depuis pris l’habitude d’inverser des images et de dessiner le négatif, puis de scanner mon dessin et de l’inverser sur l’ordinateur. Cela rend les couleurs faites au crayon ou à l’aquarelle luminescentes. Comme je dessine sur papier blanc, inversé, le fond devient noir, et fait briller mes trais ».

Le son

Jamais vraiment loin des Atlas Mountains (Amaury Ranger et Jean Thevenin participent aussi à l’aventure), Frànçois Marry embarque dans son giron quelques belles figures de la pop française actuelle (Juliette Armanet, Fischbach, Barbara Carlotti, Voyou, Malik Djoudi, Calypso Valois, et même Gaspar Claus au violon), et rend un hommage à son image à Charles Baudelaire : ici, les textes les plus célèbres du Français (« À une passante », « Parfum exotique », « L’invitation au voyage ») rencontrent ainsi l’environnement pop, légèrement électronique et cotonneux de l’univers de Frànçois, qui, disons-le franchement, s’en sort remarquablement. « La douceur qui fascine et le plaisir qui tue » ? Frànçois, plutôt, avec ce bel élan sincère et appliqué, redonne vie à un recueil qui ne mourra, sans doute, jamais véritablement.

Frànçois Atlas (Site officiel / Facebook / Twitter / Youtube)

Frànçois Atlas, Les Fleurs du Mal, 2018, Silène