Francis Lung x Julien Gorgeart x DR ME – A Dream Is U


D’un lit défait par une nuit sans doute un peu agitée, un corps s’extirpe, aérien et léger. En lévitation, et inscrit dans une ambiance légèrement brumeuse, il quitte ce matelas qui, quelques instants auparavant, accueillait sa masse musculaire, osseuse, sanguine, afin de s’élever plus haut, vers les cieux ou autre part. Métaphore de la mort qui, dans certaines croyances religieuses ou spirituelles, emmène l’âme loin de son enveloppe corporelle le jour venu, ou plus sûrement, compte tenu de l’objet qu’il illustre (l’album de Francis Lung, nommé A Dream Is U) métaphore du moment qui projette l’esprit, en veille, vers le monde incertain et tangible des rêveries nocturnes, cette peinture que l’on croirait d’abord photographique est l’œuvre de Julien Gorgeart, français dont nos confrères de Boum!Bang!, via Maxime Gasnier, disaient de lui qu’il se faisait le vecteur d’une peinture « hyper réaliste ».

Avec l’aide de Ryan Doyle, affilié à l’agence de design graphique DR. ME (Ninja Tunes, Sony Music, Midi Festival, Cactus Magazine…), Julien Gorgeart a ainsi vu sa peinture, qui existait déjà avant que Thomas McClung (devenu Francis Lung après la fin de l’expérience WU LYF) ne l’utilise, vivre de nouvelles aventures, et devenir la pochette d’un disque que ses deux principaux protagonistes (Julien et Ryan donc) nous racontent, pour Néoprisme.

Julien Gorgeart, peintre hyper réaliste

« Pour cette peinture je me suis inspiré de la photographie spirite. Dans ce type d’œuvres, les photographes avaient recours à des astuces, des trucages pour faire apparaître ce que « l’œil humain ne peut pas voir ». Il pouvait s’agir d’apparitions, de prétendues radiations qui émanent du corps du sujet, ou de fantômes. La photographie avait à l’époque valeur de témoignage et jouait avec les croyances populaires. Pour cette œuvre il ne s’agit pas de croire à la véracité de cette image, mais plutôt de la transformer en objet narratif à travers le filtre de la peinture tout en faisant écho à l’Histoire de la photographie et flirter avec le mouvement littéraire « Le réalisme magique ».

Quand Thomas m’a proposé d’utiliser une de mes peintures pour sa pochette d’album, je n’ai pas immédiatement pensé a celle-ci. J’ai écouté une première fois son album en enchainent les morceaux et je lui ai proposé des pièces plus sombres. et ce n’est qu’en discutant ensemble, nourri par sa douceur et le romantisme qui l’habite que cette peinture a fini par devenir une évidence pour nous deux. À l’origine cette œuvre est en noir et blanc et Thomas se l’ai approprié en ajoutant ce filtre rose. Une nouvelle histoire commence alors. »

Julien Gorgeart, Archives #1 Lévitation, Encre de chine, 71 x 55 cm, 2016

Ryan Doyle de DR. ME 

« Lorsque Tom (aka Francis aka Lung aka Tommy G aka Gino Nix aka Frank Theft) m’a approché pour collaborer avec lui sur le design de ce nouvel album, ce fut le « oui » le plus facile de l’histoire.

Francis Lung x Ryan Doyle ‎– Selfish Man / Tsunami Blues (Cause Of Me) (2014)

Ayant vu le travail de Tom grandir durant les dix dernières années et ayant précédemment travaillé avec lui et de manière très rapprochée sur ses deux premiers EP et de manière un peu brève sur la vidéo de « I Wanna Live in My Dreams », ce fut un honneur de pouvoir laisser libre cours à ce que je voulais avec le grand, l’album.

Représenter, de la même manière que lui l’avait fait pour l’écriture et l’arrangement des chansons de cet album, quelque chose d’intemporel, de classique et de presque anti-tendance.

Ryan Doyle

Le brief de Tom fut le meilleur brief qu’un designer aurait pu avoir ; « Fais ce que tu veux, je te fais confiance ». L’unique condition, c’était que nous devions utiliser cette étonnante peinture de Julien Gorgeart que je pensais au départ être une photo numériquement manipulée. Quand j’ai compris que c’était un tableau, ça m’a troublé. Étant un ami proche de Tom depuis une dizaine d’années, je pense comprendre ses goûts et ses dégoûts lorsqu’il est question d’art ou de design. Je voulais représenter, de la même manière que lui l’avait fait pour l’écriture et l’arrangement des chansons de cet album, quelque chose d’intemporel, de classique et de presque anti-tendance.

Je ne voulais pas non plus oublier l’importance du visuel original, et voulais donc que le reste de la conception soit assez discret et fonctionne autour de la couverture. J’ai tiré mon inspiration d’un mouvement artistique, la « Poésie concrète », un arrangement d’éléments linguistiques dans lequel l’effet typographique est plus important que le sens verbal.

Ainsi, la quatrième de couverture est quasiment devenue un « poème concret » en soi, plutôt que de ressembler à des morceaux séparés les uns des autres, suggérant, peut-être, que l’album doit être écouté du début à la fin plutôt que de manière aléatoire… ou peut-être pas. Cela a fondamentalement inspiré l’ensemble du packaging, depuis l’autocollant / la boîte devant jusqu’aux étiquettes lyriques et en vinyle.

À la fin, on a également pris une décision, technique, celle de soumettre le dessin à un processus analogique que j’ai développé sur lequel j’imprime chaque élément séparé (couverture arrière / paroles / étiquette en vinyle / autocollant avant) inversé, numérisé et inversé de nouveau pour créer cette esthétique grise / granuleuse qui traverse le dessin. Encore une fois, c’était un choix et une réaction au son des années 60 que Francis a créé sur cet album. J’ai senti que cette décision était un joli clin d’œil original à ce son et à cette époque, que Tom, sans être ni ringard ni une copiste, a réussi à capturer avec les chansons qui forment cet album. »

Le son

Loin des exubérances fracturées du projet mancunien WU LYF, qui avait connu un succès étouffant aux débuts des années 2010, et loin de ce que ses anciens compères ont pu proposer ensuite (Lost Under Heaven, Los Porcos, Ménage à Trois…), le bassiste Thomas McClung a formé le projet Francis Lung, qui enrobe la pop music dans des habits synthétiques, folk, rêveurs et nostalgiques. « Un paysage de rêve kaléidoscopique enregistré en plein son technicolor, nageant avec des cordes, des harmonies, des saxophones argentés et des guitares joyeuses. c’est le disque que j’ai toujours voulu faire », dit-il afin de définir l’allure d’un disque qui parle de dépendance, d’amours qui font mal, des histoires qui embellissent le quotidien lorsqu’elles ne le plongent pas dans une nuée d’ombres.

Francis Lung (Site officiel / Facebook / Twitter / Instagram / YouTube / Soundcloud)

Julien Gorgeart (Site officiel / Instagram)

DR. ME (Site officiel / Instagram)

Francis Lung, A Dream Is U, 2019, Memphis Industries, artwork par Julien Gorgeart (peinture) et DR. ME (graphic design)