Flèche Love x Roberto Grego – Naga (part 1)


« Scars shining all over my body / I’m a work of art / Scars shining all over my body / I’m my own jewelry ».

Main de Fatma et cœur de serpent

« Mes cicatrices rayonnent partout sur mon corps / Je suis une œuvre d’art / Mes cicatrices rayonnent partout sur mon corps / Je suis mes propres bijoux », chante Amina Cadelli (aka Flèche Love, « une meilleure version de soi-même », dit-elle dans un communiqué de presse soigné), sur ce morceau, « Umusuna » – un mot japonais ancien pour désigner « le retour à la matrice » – en collaboration avec le producteur français Rone. Quelques mots qui résonnaient, déjà au moment de la parution du morceau en 2017, avec cette photo prise par le photographe Roberto Grego, qui venait illustrer le single en présentant un corps (celui d’Amina) dénudé de textile mais habillé par de nombreux tatouages, constellation de « cicatrices réparatrices » puisant dans l’imaginaire collectif des autres (elle porte sur le corps des tatouages protecteurs berbères, comme la fameuse main de Fatma, une version de Médée avec une méduse sur la tête au lieu des habituels serpents, ou encore le cœur de Nāga, dieu serpent de la religion hindoue) afin de fonder un langage visuel et viscéral destiné à devenir le sien.

Flèche Love x Roberto Greco – « Umusuna » (2017)

Assumer le corps que la nature nous a légué, ne pas s’offusquer de sa potentielle différence avec celui des autres, l’habiller comme il nous semble… c’était aussi le message, l’an dernier, du morceau « Sisters » et d’un clip, qu’Amina signait, au sein duquel défilaient des corps dénudés qui ne se ressemblaient pas, mais qui siégeaient là, tous ensemble. « Merci à Audre Lorde pour son oeuvre, le rap vient du livre Sister Outsider et le discours du début vient aussi de cette grande dame », disait-elle aussi en crédits du clip afin de rendre hommage à cette femme de lettres d’un courage rare qui décida de consacrer sa vie, non seulement à la défense, aux États-Unis, des droits des femmes, mais aussi à ceux des noirs et des homosexuels. Son propos central ? Il n’y a pas un seul féminisme, mais un féminisme pour chaque femme et chaque réalité.

C’est que l’œuvre tout entière de Flèche Love, jeune femme polyglotte (elle chante en Anglais, en Arabe, en Espagnol, en Français…), d’une curiosité remarquable (ses textes et ses images témoignent autant d’un intérêt pour la spiritualité indienne que pour le mathématicien Kurt Gödel qu’elle chante dans « Why have you have chosen me ? ») et d’une intelligence rare (à voir : son speech lors d’un TedX sur le concept féministe de sonorité), est marquée par le parcours universitaire qui a été le sien, elle qui a entrepris des études de genre, de post-colonialisme, d’ethnologie. Féministe revendiquée, attachée à l’idée de conscientisation (un sujet qu’elle développait avec pertinence au cours d’une interview accordée au magazine Manifesto), elle met aujourd’hui de nouveau en scène ce corps magnifiquement tatoué sur la pochette de son premier album, Naga (part 1).

Cette pochette est une invitation au recueillement : transcender l’humain pour retourner vers le spirituel 

Flèche Lobe & Roberto Greco

De concert avec Roberto Greco, qui avait également travaillé sur le clip de « Festa Tocandira » (elle y décryptait avec érudition un rituel d’initiation masculine chez un peuple d’Amazonie, là où il n’est pas question, pour un homme, de laisser de côté l’idée de virilité), Flèche Love, mystique et laconique, nous dit, à propos de cette pochette : « La chair se fait autel et c’est dans son entier que le corps se tourne vers le divin. Mi déesse mi temple. Cette pochette est une invitation au recueillement : transcender l’humain pour retourner vers le spirituel ».

La chair comme autel (dans son dos, on y voit ce tatouage fléché qui n’est autre qu’une traduction visuelle de son nom d’artiste, Flèche Love), et l’idée du recueillement (idée à laquelle on associe généralement les cierges qui se consument dans les églises et les temples, comme ceux qui sont en train de couleur sur son corps) : Amina se fait le lien, physique et spirituel et comme est capable de le faire n’import quel humain, entre ce qui émane du terrien et ce qui émane du divin. Gloire à elle.

Le son

Entre pop électronique, musique hip-hop et soul hypnotisée, Amina Cadelli livre, avec son projet Flèche Love et après une expérience menée aux côtés du groupe d’électro-pop suisse Kadebostany, un album d’une cohérence globale remarquable, qui raconte l’histoire des autres (la déesse indienne Kali, Camille Claudel, Reyhaneh Jabbari, Kurt Gödel…) afin de parler, sans doute aussi, un peu de la sienne. C’est que ça et là, Amina dit de cet album et de ce projet qu’il a été, et les mots chez la jeune suisse paraissent être toujours pensés, celui « de la renaissance »…

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Flèche Love, Naga (part. 1), 2019, Le Label [PIAS], artwork par Roberto Grego