C’était La Mécanique Ondulatoire, petit bar et grande place d’un rock très indé, souvent punk — tiens, c’est là-bas qu’on avait vu, il y a des années, les premiers concerts français de Ought ou de Viet Cong — passage Thiéré, à deux pas du Café de la Danse, du Motel, des punks à chiens et des hipsters à lunettes du XIe arrondissement parisien. Bastille, la rue de la Roquette et le boulevard de Charonne, c’était l’époque des salles aussi pleines que les pintes, deux types en remplissaient à longueurs de semaines.

Drinking with ghosts

Que remplissaient-ils ? Des salles ? Eh non, des pintes. Et le problème se trouvait justement là. Quand on bosse dans une salle de concerts et que l’on se sent soi-même musicien, se retrouver derrière le comptoir plutôt que sur le devant de la scène, ça froisse l’ego, ça cadenasse le sourire, ça frustre un peu, ça se fait se sentir, dans les soirs de moins bien, comme un putain de fantôme. Une pinte s’il te plaît. Ça fera 6 euros. C’est où le concert ? C’est en bas des marches. Là où ça fait boum, boum. Merci, bonne soirée. It’s OK.

Deux types sont concernés par cette histoire. Paul et Mus qui, un soir parce que lorsque les opportunités se présentent il ne faut pas les rater, passent de l’autre côté du miroir, retirent un accent circonflexe à l’état dans lequel l’on se sent parfois lorsque l’on exécute un métier de service (le nom de leur projet, c’est Fantomes avec cette orthographe-là), interprètent sur scène des morceaux joués tellement forts que ceux qui n’ont pas prévus de boules Qiues (amateurs…) s’en mordent les doigts et s’en bouchent les oreilles. Acouphènes, merci, bonne soirée.

Salut, c’est Pan European Recording (label de Koudlam, Flavien Berger, Judah Warsky, Poni Hoax…), cool votre musique. D’habitude, le revival grunge tendance gamins qui ont écouté Nirvana et Weezer, ce n’est pas forcément la musique que l’on sort, mais là, il y a un truc. Si on faisait quelque chose ensemble ? Genre, un album qui serait enregistré au studio Delta de Paris en collaboration avec Thomas Bunio, puis mixé par Johnny Bell, bassiste d’Hanni El Khatib, au Jazz Cats Studio en Californie ?

Cette histoire est romancée, les détails sont sans doute autre. L’histoire de la pochette de l’album It’s OK, album résolument grunge avec humeurs d’acouphènes et riffs qui grincent, est par contre absolument véridique. Elle est signée Lou Beauchard. Les mots qui suivent sont les siens.

« L’idée des têtes en plastiline m’est venue assez rapidement. Je fais de la photo mais je fais aussi de la stop motion, c’était un bon moyen de lier les deux et d’apporter la touche absurde qu’on voulait mettre dans cette pochette d’album IT’S OK.

Ayant déjà fait le premier clip du groupe — pour le titre Back with the Sun — en stop motion, ça allait dans la continuité graphique et artistique, je les avais d’ailleurs déjà sculpté en petit pour ce clip.

Donc, je me suis lancée dans la sculpture des têtes en taille quasi réelle.

Lou Beauchard

Donc, je me suis lancée dans la sculpture des têtes en taille quasi réelle. Je voulais avoir quelque chose d’assez réaliste, mais pas non plus au point de ne pas faire la différence avec les vrais. L’idée, c’était qu’en voyant la pochette, on se pose la question de si c’était vraiment eux ou non, qu’on sente que quelque chose cloche, qu’on soit interpellé par leurs visages.

J’ai repris l’expression des smileys du premier album créé par Diane Pellotieri (graphiste) avec qui on bosse souvent en binôme pour Fantomes. C’est une expression que j’adore, sourcils inquiets et sourire heureux, ça va parfaitement avec le It’s OK et le message de l’album.

Lors du shoot, j’ai fait beaucoup de variantes différentes, des photos plus statiques du groupe qui tiennent les têtes dans leurs mains, des plans larges avec les gars assis au restaurant chinois et leur tête devant eux sur table … mais celles qui marchaient le mieux et qui traduisaient le mieux cette volonté d’interpeller et d’intriguer la personne qui regarde la pochette, ce sont celles avec du flou de mouvement. Ça rendait les têtes presque vivantes, ça en devenait presque flippant sur certains clichés. ».

Fantomes (Facebook)

Lou Beauchard (Site officiel / TumblR)

Fantomes, It’s Ok, 2021, Pan European Recording, 33 min., artwork de Lou Beauchard, design de Diane Pellotieri