Eels x Mark Oliver Everett – Electro-Shock Blues
Tous les mois, Néoprisme donne la parole à un journaliste extérieur, qui nous parle d’une pochette d’album d’hier, culte pour le grand monde ou simplement pour l’intime de celui qui l’analyse. Aujourd’hui, la parole est à Agnès Bayou du Transistor, qui scrute pour nous la pochette d’Electro-shock blues d’eels…
Néoprisme m’a invitée à parler de ma pochette favorite. Pour moi, c’est compliqué, parce que mes débuts pop, après une forte éducation en musique classique, se sont faits à une époque où la pochette n’était pas essentielle. En effet, la musique dans les années 90, c’était beaucoup d’échanges de cassettes (pirates qu’on était sans le savoir à guetter le single en radio ou à copier nos albums favoris pour nos proches). Bien évidemment, la situation s’est désagrégée avec le grand méchant Napster, qui prenait des siècles à télécharger un single, alors pourquoi s’ennuyer avec la pochette.
Pourtant, quand je suis partie à l’étranger, et que j’ai pris mes cent albums préférés pour survivre sur un campus irlandais qui ne captait qu’une radio country, j’ai choisi avec grand soin les pochettes à emmener. Pas la boite en plastique qui de toute manière n’aurait jamais survécu au voyage, mais le livret des albums que j’avais achetés (avec fierté). Pour remettre dans le contexte, je me disais à l’époque fan de R.E.M. et j’écoutais l’album Reveal en boucle.
La grande surprise de cet exil, c’est que j’étais relié en réseau avec tous les autres ordis de mon campus. On avait tous sur notre bureau un dossier de partage, auquel n’importe qui pouvait accéder. Rapidement, j’ai repéré ceux qui avaient des goûts qui me correspondaient, des influenceurs qui s’ignoraient en quelque sorte. C’est comme ça que je suis tombée sur un artiste qui encore aujourd’hui trône en tout en haut de ma liste. De lui, je ne connaissais que le single ‘Novocaine for the Soul’, découvert au détour d’une lecture de XL le magazine, avec une sorte d’alien aux yeux démesurés sur la pochette.
Ainsi, j’ai plongé dans la discographie de eels, mais de manière immatérielle sans aucune référence visuelle. J’ai par la suite acheté toutes les nouvelles sorties, le Shootenanny, le Blinking Lights and Other Revelations et ainsi de suite…
Quelques années plus tard, c’était la mode des quiz dans les pubs. Avec des pochettes à identifier, pour étaler son savoir musical encyclopédique. Et entre un Hail to The Thief et un War, je me suis arrêtée devant cet artwork. Il s’agissait d’un dessin de deux enfants qui s’envolaient dans la nuit étoilée, avec leur peluche en laisse. La soirée étant arrosée, je n’ai pas imprimé la réponse sur laquelle on avait tous séché, mais le dessin m’est resté en mémoire.
Les insomnies aidant, j’ai passé des nuits à scanner les internets à la recherche de l’artiste de cette pochette. C’est souvent le plus évident qui nous reste le plus énigmatique, tu l’auras compris cher lecteur, il s’agissait de mon album préféré de eels : Electro-Shock Blues.
L’histoire de cette pochette est jolie d’ailleurs… puisque c’est un dessin réalisé par Mark Oliver Everett lui-même. Mais l’album contient aussi des dessins du père de celui qui se fait surnommer Mr. E., de la poésie de sa grand-mère, des écrits de sa sœur. C’est en effet son album le plus personnel, celui qui raconte la vérité nue de son enfance, son père qui n’était pas bien présent, de sa mère en train de mourir d’un cancer des poumons, du suicide de sa sœur… le laissant subitement seul membre vivant de sa famille. Car même si eels raconte sa vie sur tous ses albums, c’est clairement à mes yeux la bande son de son autobiographie Things the Grandchildren Should Know.
C’est le contraste entre un dessin enfantin et des sujets si graves, sérieux, qui je crois m’a si longtemps empêché de faire le lien entre l’album et la pochette. Alors qu’en fait, il est évident que eels avait besoin d’un dessin simple pour se distancer de sa réalité trop dure à affronter, d’autant plus que ce dessin exprime manifestement une envie d’évasion vers le pays imaginaire de Peter Pan.
« Suicide, Cancer, Heart Attacks… Death is the greatest taboo since sex » annonce Mr. E.
Et finalement, non ce n’est pas un album déprimant, au contraire, electro-shock blues enseigne avec douceur comment gérer la perte, les décès, les abandons qui jalonnent nos vies. « Maybe it’s time to live » précise-t-il en exergue sur ‘PS You Rock My World’.
Mr. E raconte l’aventure de cet album en BD sur son site.
Le Transistor se suit ici, ici et aussi ici.
Et Agnès Bayou surtout ici, sur Twitter.
Eels, Elektro-Shock Blues, 1998, SKG Music, 48 min., pochette par Mark Olivier Everett
Pour acheter le vinyl, c’est par ici : Electro-Shock Blues [2 LP]