Dominique Cravic et les Primitifs du Futur x Robert Crumb – Résumé des Épisodes Précédents


Là, des loubards du Chicago des années 20 dont les regards se croisent, et se confronteront bientôt (Trop de Routes, Trop de Trains et autres Histoires d’Amour, 1995). Ici, l’espace-temps qui se délie et le monde qui se métisse, en permettant au Berbère au luth, au Français à l’accordéon et à la Gitane au mouvement du bassin de se rencontrer (World musette. C’est la Goutte d’Or qui fait déborder la valse !, 1999). Là encore, des Indiens issus d’Amérique ou d’ailleurs, pourvus d’accordéons, de banjo et de grimaces (Tribal musette, 2008). On parle de « world musette », l’association du musette donc, et d’un tas d’autres choses (jazz, swing, blues etc.) Partout, sur les visuels accompagnant les productions discographiques des Primitifs du Futur, menés par le multi-instrumentiste et compositeur Dominique Cravic (entre 100 activités, il a posé sa guitare aux côtés de Georges Moustaki, de Pierre Barouh ou d’Henri Salvador), et comme dans ce best of intitulé comme le début d’une nouvelle saison d’une série qui connaîtrait le succès (Résumé des Épisodes Précédents, 2019), la patte de Robert Crumb, l’Américain considéré comme l’un des grands précurseurs de l’illustration et de la BD underground, à une époque – les années 70 – où le terme avait encore un sens, et où il était encore possible de s’implanter dans la marge. À une époque, aussi, où être dessinateur de BD équivalait à ne pas être grand-chose…
Subversif, pervers, moqueur, méchant, son dessin se consacre, alors, à se désoler de l’évolution d’une société américaine dont il méprise les grandes lignes, et dont il s’amuse des petites. Fritz, le chat de la famille devenu héros de BD, est, à la fin des années 50, son premier succès notable. En 1968, il crée la revue Zap Comix, une revue qui se trouve rapidement ouverte à d’autres dessinateurs alors en vogue dans les tréfonds de l’underground (Spain Rodriguez, Gilbert Shelton, Victor Morosco…), et qui est également confrontée à quelques soucis, et notamment avec le Comics Code Authority, qui envoie quelques fois la police, la faute à un contenu éditorial globalement obscène et tendancieux. Il y a notamment cet épisode, lors de la sortie du quatrième numéro, où Crumb condamne l’hypocrisie des gentilles familles américaines en mettant en scène un employé modèle qui se retrouve organisateur d’une partouse incestueuse… Et puis, il y a l’expérience hippie, le déménagement à San Francisco où tout bouge, et un visuel, mythique, pour le Cheap Thrills de Big Brother and the Holding Company, le groupe de Janis Joplin , une pochette de disque généralement considérée comme l’une des plus cultes et les plus iconiques de la musique psychédélique des 70’s.
Big Brother and the Holding Company x Robert Crumb – Cheap Thrills (1968)
Dominique, y a Crumb qui est à Paris, vous aimez les mêmes trucs : musette, blues, etc. Faut que vous vous rencontriezUn voisin
Loin de la frénésie hippie des 70’s, pour Crumb, il y a donc aussi le musette, et une passion pour la France qui poussera même l’illustrateur américain à s’y installer, dans les années 80, au sein d’un pays dans lequel il vit toujours avec sa femme. La rencontre avec Dominique Cravic se fait à Paris, en 1986, après un passage de Crumb par Angoulême, où le Festival international de la bande dessinée a déjà lieu. « Dominique, y a Crumb qui est à Paris, vous aimez les mêmes trucs : musette, blues, etc. Faut que vous vous rencontriez, il habite juste à côté de chez moi en ce moment ». La rencontre, comme prévu, se passe à merveille. « J’ai trainé Robert dans les Puces, je lui ai présenté des gens. Je connaissais évidemment le Crumb dessinateur, mais je ne savais pas à cette époque-là qu’il était musicien [il a formé au milieu des années 70 l’orchestre parodique et très libre Cheap Suit Serenaders, NDLR]. On l’était aussi : on avait un groupe à l’époque, Bluestory. Avec Robert, on a joué pas mal de musique, fait quelques boeufs. Et on a décidé de monter ensemble Les Primitifs du Futur ». Crumb veut découvrir davantage encore la musique traditionnelle française, et Dominique fouiller un peu plus sa connaissance du blues. Ça tombe bien : Crumb, en plus d’être un joueur de banjo et de mandoline, collectionne aussi de manière frénétique les 78 tours de blues, de jazz et de… musette ! L’album Cocktail d’amour arrive en 1986. C’est naturellement Crumb qui en signe la pochette. « Dans les Primitifs du Futur, il y a un lien très très fort entre les images de Crumb et la musique. L’un illustre l’autre, et vice-versa. »
Et comme c’est un génie, t’en prenait plein la gueuleDominique Cravic
Depuis 1986, le groupe, mouvant et avec lequel beaucoup ont collaboré (Jean-Jacques Milteau, Didier Roussin, Marc-Édouard Nabe, Sanseverino, Christophe, Olivia Ruiz, Pierre Barouh…), a sorti quatre albums, tous illustrés par Crumb. Lui ne joue plus au sein du groupe depuis une dizaine d’années, mais avait toutefois posé sa mandoline sur Tribal Musette, et sur ce morceau en featuring avec Christophe et Olivia Ruiz. Dominique Cravic : « Pour Cocktail d’amour, Crumb a dessiné le groupe, de la même manière qu’il l’a fait pour le best of qu’on a sorti pour le Disquaire Day, et pour la première fois en vinyle. À partir du deuxième, c’est plutôt des évocations de chansons. Je lui ai parfois donné des pistes, et hop il démarrait. Et comme c’est un génie, t’en prenais plein la gueule… »
J’ai envie de faire des têtesRobert Crumb
Et cette constellation de visages, grande photo de famille de ceux qui ont fabriqué l’album, qu’on trouve sur le best of ? « Ça a été un peu speed pour la pochette. À cause des délais de la sortie… Au début je lui ai dit ‘Robert tu me fais que des lettrages’. Et il m’a dit : ‘j’ai envie de faire des têtes. Et j’ai envie d’en faire plein… »

Le son

Fusion de la musique musette avec tout ce qui traine (forte orientation pour le blues et le jazz manouche, tout de même), Les Primitifs du Futur réunissent depuis plus de trente ans des grands professionnels du milieu et des gens quasiment amateurs – des étudiants au conservatoire, par exemple -, dans une démarche qui frise l’idéologie. « Ce qui est assez original je crois, c’est que notre son est créatif mais contient des matériaux anciens. Ce n’est pas du musée, mais en même temps, c’est devenu une sorte d’atelier un peu large », dit Dominique Cravic, leader du projet depuis le début. « Le dernier disque, c’est une anthologie, un best of, qui contient quelques inédits mais globalement, ce sont des morceaux de studio. On fait généralement un album tous les sept ans. Là, c’était le moment de sortir quelque chose ! » Dominique Cravic et les Primitifs du Futur, Résumé des Épisodes Précédents, 2019, Souffle Continu Records, artwork par Robert Crumb