Dolphin Flight x Dexter Maurer — CHPTL – 054 : Méandres


De drôles d’avions — qui ressemblent, plutôt, à des poissons, des crustacés, à ces espèces sous-marines dont on apprend le plus souvent l’existence au sein de documentaires animaliers fascinés, mais bizarrement, pas tellement à des « dauphins qui volent »  — circulent dans un ciel bleuté. La ligne aérienne, dans les parages, est particulièrement embouchée, les avions de la compagnie Dolphin Flight frôlent les regards de singes qui, dressés sur leurs deux pattes comme s’ils étaient sur le Rocher du Zoo de Vincennes, ressemblent à l’homme et, éléments notables, préfèrent regarder le spectateur que ce défilé aérien. À leur place, en aurait-on fait de même ?

Les dauphins nagent dans les nuages

Ainsi, les singes vous regardent, ils paraissent figés et attentifs au moindre de vos faits et gestes, ils ont grimpé tellement haut que là où ils sont, les nuages font office de parterre, de plancher flottant dont il ne faudrait pas, tout de même, se risquer à trop tester la rigidité. Car un nuage n’est pas un sol, et si on marche dessus, on le traverse, comme dans les dessins animés. Comme dans un rêve, aussi.

Il y a cette scène finale d’Apocalypto, le film à spectacle de Mel Gibson sorti en 2006 où le héros du film, Patte de Jaguar (c’est son nom), observe depuis les hauteurs de la Péninsule du Yucatán l’arrivée des conquistadors à bord de leurs caravelles. C’est l’arrivée d’un monde nouveau et d’un danger, dans ce film-là, qui en remplace un autre.

Apocalypto © Mel Gibson

Ici, sur la pochette de CHPTL – 054 : Méandres, ce sont des avions (ou des « dauphins volants », oui, on a compris) que l’on voit défiler à la volée, et peut-être bien avec inquiétude. Car s’ils symbolisaient, dans les années 70, la voix vers un progrès éclatant, ces aérodynes géants symbolisent aujourd’hui, à cause de la pollution terrible qu’ils impliquent, un monde qui étouffe à force que l’on puise à l’intérieur de lui des forces qui ne se renouvellent pas aussi vite qu’on les extraie.

Dolphin Flight x Dexter Maurer — CHPTL – 054 : Méandres (détails)

Dualité

Voyons ainsi, cette image, comme une dualité véritable qui ne tourne pas au combat de rue. Les forces primitives d’un côté — les singes —, les forces destructrices de l’autre — les avions —, et une image là, avant tout, pour illustrer de la musique, celle d’un disque concept proposé par un quartet suisse, Dolphin Flight, qui chante en français, sur un troisième album au nom énigmatique CHPTL – 054 : Méandres, des paroles cryptées posées sur des « nappes en fusion de synthétiseurs [faisant] office de sol marécageux. »

Pour le dire autrement : du free-jazz, psychédélique et hautement perché, qui murmure une poésie discrète, « un album pop (…) qui réjouira les amateurs de textures et de rythmiques Nu jazz.« . Un album qui prend son temps, qui nous emporte avec lui, « qui évoque des souvenirs, des images, au fond duquel la musique se croise avec le sens des mots« , écrit le groupe avec une vivacité de verbe rare.

 
 
 
 
 
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Beaucoup de mystères dans cette musique, pour une image qui relève de la merveille, image que l’on doit au travail de l’illustrateur Dexter Maurer, qui a aussi illustré ces dernières semaines un autre projet helvétique, celui du producteur, chanteur et bâtisseur de rêveries Muddy Monk dont il est tout de même amusant de constater que sur la pochette d’ULTRA DRAMATIC KID, le chanteur tombe et bascule dans une chute qui paraît ne jamais prendre fin. Était-il, juste avant, aux côtés de ces singes peut-être pas si proches des pensées rousseauistes (l’homme originel est bon, c’est la civilisation qui le corrompt, aïe) qu’ils avaient pourtant voulu nous le faire croire ?

Muddy Monk x Dexter Maurer — ULTRA DRAMATIC KID (2022)

Dolphin Flight (Facebook / Bandcamp / Instagram)

Dolphin Flight, CHPTL – 054 : Méandres, 2022, Cheptel Records, 36 min., illustration et graphisme de Dexter Maurer