Damien Jurado — What’s new, Tomboy ?


Une maison, qui paraît isolée mais qui ne l’est peut-être pas (le cadrage, dans tous les cas, fait qu’on ne voit qu’elle) éclairée par la seule grâce d’une lumière ampoulée, celle trônant au-devant de la porte d’entrée. Absolument ordinaire, cette photo, prise par Damien Jurado lui-même, résume pourtant à merveille l’environnement développé depuis vingt-cinq ans (et quinze albums au compteur, tout de même) par un artiste qui s’exprime par le biais du folk et d’une musique conteuse d’histoires banales et spéciales, dans lesquelles les chansons font office de saynètes qui explorent l’amour, le sacré, le désespoir, le normal.

Un grand tout, chez l’américain, raconté par le biais de pas grand-chose (la guitare, la voix, et quelques enjolivures autour), et dans lequel on se sent curieusement chez soi, tout en ayant le sentiment évident de se trouver chez quelqu’un d’autre. C’est hospitalier, et c’est distant. Comme cette maison-là ? Certainement.

La lumière, l’obscurité, l’entre-deux

Un tableau clair-obscur permanent ? Voilà ce qu’est la musique de cet artiste qui sort quasiment chaque année un disque au moment où les fleurs revivent (c’est la période du printemps) et qui alterne, au sein d’un même écrin, les moments de profonds optimismes et ceux de profondes détresses. La vie normale est ainsi, celle de Damien Jurado aussi.

Edward Hopper, Pennsylvania coal town, 1947, Huile sur toile, Butler Institute of American Art, Youngstown, Ohio

De Hopper à Carpenter

Dans cette image qui accompagne l’album What’s new, Tomboy ?, on pourrait se croire chez le cinéaste et musicien John Carpenter (le lotissement dans lequel se déroule Halloween, notamment, est très semblable à cette photo-là, et on craindrait presque percevoir l’ombre du géant masqué Michael Myers armé de son couteau de cuisine), ou bien plus sûrement chez Edward Hopper, américain adepte lui aussi de scènes peinturée où rien ne semblerait inédit si la lumière, le cadrage, et l’ambiance qui s’en dégageait ne laissait pas pressentir la présence du singulier. Mais nous sommes bien chez Jurado, un univers où les ombres que l’on devine, semble-t-il, possède une importance aussi grande que les paysages clairement éclairés et où il suffit de savoir ce que l’on choisit de regarder.

Le son

Son intimité émotionnelle, mentale, cérébrale, l’américain Damien Jurado, natif d’une ville où sa musique semblait pourtant avoir peu de chances de résonner — il vient de Detroit, cité de la musique techno et que l’on assimile surtout désormais à sa scène hip-hop —, la décrit depuis plus de vingt-cinq ans et avec une discographie qu’on l’imagine bien feuilleter, lorsque l’humeur le permet, comme d’autres feuillettent des albums aux photos soigneusement sélectionnées. En 2020, c’est le tour de What’s new, Tomboy ? de faire le point sur l’existence de Damien, et de le faire via un album qui va à l’essentiel (musique et durée minimale) et qui parvient, grâce à quelques petits chefs-d’œuvre de folk trafiqué (on notera la nappe synthétique remarquable d’« Arthur Aware », et les ambiances d’églises orgueilleuses d’« Ochoa ») à extraire la lumière des moments les plus sombres. C’est son truc à lui, c’est réussi.

Damien Jurado (Site officiel / Facebook)

Damien Jurado, What’s new, Tomboy ?, 2020, Loose Music, 30 min.