Crystal Castles – Amnesty (I)


Crystal Castles - Amnesty (I)

« Qui est-ce qui est à l’origine de la photo qui illustre le disque ? Alors là je ne sais pas : les crédits photos ne sont pas inscrits dans l’album. Apparemment, le groupe a acheté la photo sur internet mais personne n’a été en mesure de nous fournir plus d’informations, pas même le chef de projet qui bosse sur l’album… »

« Et la photo, elle est de qui ? »

On aura décidément essayé. Parce qu’avant de poser la question à Caroline International France, qui gère notamment la promo France du dernier Crystal Castles, on avait déjà parcouru, devenu légèrement obsessionnels le temps de quelques d’heures d’investigations 2.0, les tréfonds du web afin de trouver trace du nom de celui ou de celle qui serait à l’origine de ce cliché-là, photo de fillettes jeunettes mais pas si rassurantes, dignes d’une scène cachée de The Others (le film d’angoisse d’Alejandro Amenábar, avec Nicole Kidman et des gamins un peu chelous dedans).

Crystal Castles - Amnesty (I) (Verso)

C’est donc sans doute que le groupe a décidé de ne pas en laisser filtrer, d’informations trop nettes à ce sujet. Étonnant, si l’on considère la norme à ce propos (si les « créateurs » de pochettes sont parfois difficiles à localiser, on finit quasiment toujours par le faire), mais pas tellement ici, puisqu’il s’agit de Crystal Castles. Et que les Canadiens, on le sait, on déjà connu suffisamment de « péripéties » en termes de droits d’images pour être capables de contourner, une fois encore, les usages dans le domaine. En 2008 en effet, on avait reproché au groupe d’avoir utilisé le travail du britannique (mais résident japonais) Trevor Brown sans son autorisation, cette Madonna habillée d’un œil au beurre noir affichée sur flyers et produits dérivés et dont l’image n’aurait peut-être jamais été clearé sans que l’artiste d’origine ne se manifeste… Cette faute, on se doute bien que le groupe ne l’a pas de nouveau commise ici. Ce serait tout de même un peu gros et on se doute bien que cette fois-ci, les choses ont été faites proprement, l’expérience permettant en général de ne pas commettre deux fois la même erreur…Il n’empêche qu’il n’apparaît nulle part, ce nom. Bon, passons.

Crystal Castles x Trevor Brown

Des gamines, une balançoire…et l’angoisse

Mais alors que dit-elle, cette photo « d’archives » mettant en scène une tripotée de gamines qui pourraient bien appartenir à la même fratrie (traits communs, fringues pareilles : ça donne une indication) et qui sont photographiées, parce que c’est vrai que c’est toujours un jeu amusant pour un enfant, en train de faire de la balançoire ? Elle fait sans doute résonner la scène avec le titre de ce quatrième disque (dans l’idée d’Amnesty, il y a celle du « pardon », et par filiation, de l’innocence retrouvée), et surtout, elle marque une espèce de cohérence avec les précédentes pochettes du groupe, si l’on décide en tout cas de se concentrer sur cette attirance pour cette jeunesse toujours shootée, c’est le moins que l’on puisse dire, dans des environnements légèrement hostiles et pas hyper apaisants.

Youth of the nation

Ici, le cadrage de la photo suggère en effet l’importance des chaînes qui permettent à la balançoire de pouvoir correctement faire le boulot, des chaînes qui, d’ordinaire et lorsqu’elles ne sont pas brisées, n’indiquent jamais la sérénité la plus totale. Drôle de terrain de jeu pour la jeunesse, de la même manière qu’était particulier celui dans lequel gambadait le jeune fils – oui, malgré les cheveux longs et la mine pouponne, c’est un garçon – de Todd Tamanend Clark, le musicien proche d’Alice et d’Ethan qui avait alors offert cette photo de son bambin foulant le sol d’un cimetière afin d’illustrer le 2e album des camarades canadiens. Plus tard, en 2012 et pour les besoins de (III), c’est le célèbre cliché du photographe Samuel Aranda qui avait été utilisé, cette photo d’une mère (Fatima al-Qaws) en train d’embrasser son fils (Zayed) qui, lors d’une manifestation contre le président yéménite Ali Abdullah Saleh, avait été confronté à l’effet néfaste des gaz lacrymogènes. Primée par le World Press Photo de l’année 2011, elle se convoquait elle aussi l’idée de jeunesse confrontée, déjà, à des problématiques de vrais grands adultes. Qu’elles y restent donc encore un moment, à jouer sur cette balançoire un peu rouillée, ces gosses-là. Le petit sourire que certaines dessinent sur leurs jeunes joues disparaîtra sans doute le jour où elles devront les briser, ces chaînes de métal.

Le son

C’est quand même bizarre, un album des Crystal Castles sans Alice Glass, et ce même si l’on sait tous très bien que c’est bien le producteur Ethan Kat qui a toujours été la tête pensante du projet (preuve en est, le premier succès du groupe, « I’m Not In Love », n’accueille pas encore la voix d’Alice mais celle de Robert Smith, le chanteur des Cure). Alors, sur ce quatrième album, le premier à ne pas être titré Crystal Castles, c’est avec un nouveau visage et de nouvelles cordes vocales (celles d’Edith Frances) que les Canadiens reviennent quatre ans après (III), et en laissant définitivement de côté l’esthétique nerdcore qui avait fait le succès des deux premiers albums du groupe. Transe hardcore, pop noyée sous des synthés brumeux, chants sépulcraux : malgré quelques belles fulgurances (« Frail », « Concrete »), ce cyberpunk-là souffre de l’absence de celle qui faisait sa force hier. Tous fous d’Alice, mais pas encore tellement de France.

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Crystal Castles, Amnesty (I), 2016, Fiction Records / Casablanca Records, 33 min.