Booba x Discipline Studio x Romain D’Abrigeon – Nero Nemesis


Booba x Sarah Schlumberger x Romain D'Abrigeon – Nero Nemesis

Après s’être mis en scène sur les visuels de ses 7 premiers albums, de manière plus ou moins pudique (il exhibe son torse tatoué et bodybuildé sur 3 de ses 7 pochettes…), Booba a choisi d’utiliser le blason figuratif afin d’illustrer le 8e, Nero Nemesis. Le changement, inattendu compte tenu du caractère très classique et très codifié des précédents visuels, est radical.

Le blason du duc

Alors, le Duc de Boulogne a fini par créer son propre blason, comme le faisaient avant lui et au Moyen Âge clercs, nobles, bourgeois et communautés humaines (corporations de métiers, villes, régions, pays…) afin d’identifier aux yeux de tous le rang, la position sociale, ou simplement l’identité. D’abord réservée aux chevaliers (jusqu’au XIIe siècle), la pratique se répand et s’intensifie à partir du XIIIe, au point de devoir donner naissance à une science – l’héraldique – ayant pour objectif de comprendre, d’identifier, et de retracer l’historique de ces blasons dont il demeure encore aujourd’hui certaines traces dans nos sociétés contemporaines (chaque région française est par exemple encore rattachée à un blason).

Ces créations identificatrices, témoins privilégiés d’une époque où la communication passait bien évidemment plus par le visuel que par l’écrit (il faut savoir lire pour pouvoir comprendre ce qui est écrit…), elles répondent à des codes, à des règles et à un vocabulaire bien particulier pour pouvoir être correctement édifiées, et correctement comprises. Le blason créé pour les besoins de Nero Nemesis, pour sa part, n’a a priori pas été conçu par un spécialiste du genre, puisqu’il est l’oeuvre de Romain D’Abrigeon et de l’agence Discipline Studio (déjà auteure notamment des visuels de Lunatic et de Futur). On se risquera donc, en tentant de ne pas formaliser les spécialistes, à essayer d’en déchiffrer quelques symboles relativement évidents.

Lion ailé, lion couronné

Il y a d’abord ce lion, au physique inhabituel. Ailé, il se rapproche de celui qui, au sein de l’iconographie chrétienne, représente l’apôtre Saint Marc, symbole de paix lorsque ce lion tient entre ses pattes une Bible ouverte sur laquelle on lit généralement la phrase « pax tibi Marce, evangelista meus » (« la paix avec toi, Marc, mon évangéliste »), et symbole de guerre lorsque ce livre est refermé ou bien absent. À Venise, où ces lions ailés affluaient jusqu’au XVIIIe siècle en tant que symboles officiels de la ville (Venise est officiellement nommée la « République de Saint-Marc »…) et notamment sur le fronton de la basilique Saint-Marc, on voit cette Bible clairement ouverte. Ici, sur la pochette de ce 8e album, il n’y en a pas. C’est que Booba, c’est évident, est en état de guerre.

Lion de Saint-Marc - Venise

Lion de Saint-Marc – Venise

C’est sans doute pour cela que ce lion-là rugit. Et c’est aussi pour cela que figure sur sa tête cette couronne que l’on devine bien lourde, là pour signifier, par filiation, la position dominante et régalienne de Booba sur ce rap français sur lequel il compte bien imposer encore un peu plus sa loi, surtout lorsque l’on sait que ce 8e album a été publié ce vendredi 4 décembre afin de concurrencer directement les sorties de Nekfeu (qui rééditait ce jour son premier album Feu en version augmentée), de JUL (qui sort son My World), et surtout de son ennemi de toujours Rohff (Rohff Game, 8e album également).

Némésis et la vengeance légitime

Une animosité martiale que vient confirmer aussi le titre de l’album, Nero Nemesis, traduisible en grec ancien par « rival noir », et qui désigne aussi, d’un point de vue mythologique, la déesse grecque de la « juste colère et de la rétribution céleste ». C’est-à-dire la vengeance légitime. Tout se tient.

Ce lion-là couronné (ou autocouronné, comme Napoléon à Notre-Dame), s’affirme ainsi roi d’un territoire définitivement plus large que celui de Boulogne. Et d’autant plus que le blason conçu pour célébrer la gloire du roi B2O n’est en rien semblable au blason de son fief de Boulogne-Billancourt, qui représente un navire blanc à une seule voile posée sur un fond bleu et rouge (les couleurs de la ville de Paris, limitrophe de l’une des deux sous- préfectures des Hauts-de-Seine).

En fait, et en parcourant d’un œil rapide la liste des différents blasons représentant les régions de France, c’est à celui de Franche-Comté, qui figure un lion d’or rampant et armé étendu sur un champ d’azur, que celui-ci se rapproche le plus…Amusant, quand on sait justement que le symbole de Belfort, l’un des chefs-lieux de la région franche-comtoise, est justement ce lion long de 22 mètres et large de 11 mètres (Le Lion de Belfort donc, dont une reproduction réduite est exposée à Paris, place Denfert-Rochereau), bâti afin de célébrer la résistance de la ville assiégée par l’armée prussienne durant la guerre de 1870…Une histoire, en bref, de guerres et de crinières régaliennes.

Lion de Belfort

Lion de Belfort

Le son

« J’ai fait du game une dictature », lance Booba dans « Pinocchio ». Et on ne dirait pas mieux. Parce que le duc trône toujours au sommet d’une scène gansta rap française où ses lyrics vénéneux et pompeux (plusieurs sens à ce terme), parce qu’ils fonctionnent virilement bien et parce qu’ils parlent globalement de foutre déposé sur des visages féminins ou sur des orifices correctement épilés , s’avèrent toujours aussi jouissifs au fur et à mesure que les albums avancent. Et surtout lorsqu’ils ne font pas appel à cet affreux vocodeur,  ou / et lorsqu’il ne se lance pas dans ces essayages zouk et caribéen dignes de ces très mauvais tubes estivaux (« Validée ») sur lesquels même les zoukeurs du Club Meb de Djerba la Douce n’osent pas se déhancher. « Attila mon ancêtre », se vante-t-il. Parce que l’on se comprend entre ceux que certains nomment roi, et ceux que certains nomment barbares.

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Discipline Studio (Site officiel)

Booba, Nero Nemesis, 2015, Tallac Records, 48 min., pochette par Discipline Studio (direction artistique, graphisme) et Romain D’Abrigeon (illustration)