Benjamin Biolay x Mathieu César — Grand Prix


En 2014 au Japon, sur le circuit de Suzuka, le pilote niçois Jules Bianchi, à bord de sa monoplace Marussia MR03, percute avec une violence inouïe une dépanneuse intervenue sur la piste afin de dégager une autre voiture accidentée, celle d’Adrian Sutil. Le français est évacué, passera de longs mois dans un coma profond, et mourra finalement des suites de cette blessure en juillet 2015, devenant le premier pilote de Formule 1 mort après avoir été accidenté lors d’un Grand Prix depuis les accidents mortels d’Ayrton Senna et de Roland Ratzenberger au Grand Prix de Saint-Marin 1994.

Grand drame sur le Grand Prix

La mort spectaculaire du français, seulement âgé de 25 ans au moment de l’accident, émeut naturellement l’ensemble du monde du sport et tous les amateurs de l’un des sports automobiles les plus populaires de la planète. Benjamin Biolay fait partie de ceux-là, de ces amateurs de courses qu’il a toujours suivies avec une passion particulière.

« J’ai toujours été fasciné par les courses, par les pilotes, et par les histoires qui se déroulent autour des pilotes », nous dit-il au téléphone.« Ce côté shakespearien lié à l’histoire du sport automobile, à l’accident de Senna, au film Grand Prix de John Frankenheimer [sorti en 1966 et avec James Garner et Yves Montand au casting, NDLR] ou au Week-end of Champion de Roman Polanski… ce sont mes madeleines de Proust familiales. Alors, à la mort de Bianchi, qui m’a profondément choquée, j’ai écrit ce morceau, qui est une sorte d’hommage. Mais je ne pensais pas que cette chanson empiéterait à ce point sur la thématique de l’album. »

« J’ai raté ni ma mort ma vie / Même si / Je n’ai jamais conduit ta belle Ferrari ». Le morceau « Grand Prix » donnera son nom à l’album en même temps que sa thématique centrale et sa métaphore filée la plus récurrente, celle d’une route à suivre, et de ces chemins autour desquels l’on tourne avant de pouvoir finir en tête de peloton, au pied du podium, ou le capot encastré dans la dureté d’une dépanneuse.« Un Grand Prix c’est éprouvant, c’est très dur, c’est un cauchemar, des accidents et des petits avanies. Sauf si on le gagne… Et là,  ça devient merveilleux », résume-t-il.

Neil Young, Pink Floyd, Rage Against the Machine… Biolay

La pochette dès lors, devait directement y faire référence, à ce titre de disque qui peut, au choix, annoncer de très bons augures ou porter méchamment la poisse. Benjamin Biolay : « J’ai toujours confié mes pochettes de disque à un œil extérieur, tout en gardant un regard très attentif dessus. J’ai beaucoup travaillé avec le duo M/M dans le passé [lequel a signé par exemples les pochettes de La Superbe, de Vengeance ou de Palermo Hollywood, NDLR], mais cette photo mise en scène est l’œuvre de Mathieu César, avec qui j’avais beaucoup envie de travailler. Je lui ai envoyé la pochette d’On the Beach de Neil Young, celle avec la Cadillac enfoncée dans le sable. Ça nous donnait une bonne base de réflexion… »

Une Matra et un champion

Pas de Cadillac sur la pochette finale de Grand Prix, mais une Matra de Formule 3, voiture emblématique des années 60 et 70 et victorieuse, en Formule 1, du championnat 1969. Une voiture conduite, fut un temps, par Jean-Pierre Beltoise, qui s’est éteint il y a quelques années et dont le fils, Julien Beltoise, a pu poser aux côtés de Biolay sur ce cliché qui fantasme le chanteur dans le rôle du pilote (de sa propre existence ?) « Je ne comptais pas enfiler une combinaison de pilote à la base… Et quand j’ai dû conduire le monospace, une expérience immortalisée aussi par quelques photos, j’ai cru que j’allais mourir… »

Jean-Pierre Beltoise à bord de sa Matra en 1968 © Creative Commons / Wikipédia / Anefo

Trois personnages sereins au premier plan (dont une fille, rétro elle aussi, qui enlève le sticker sur le casque du pilote) et au service d’une photo qui aurait très bien pu exister dans les années 70, et en arrière-plan… un homme qui brûle, comme une référence à ce sport de fou furieux qui demande par essence un calme et une maîtrise de soi extrême, et en même temps une dose de folie suffisante pour risquer sa vie à chaque virage.

« Je me souviens qu’il faisait très froid pendant le shooting.. Et que le cascadeur professionnel — qui est par ailleurs également un grand pilote — qui prend feu derrière nous, a subitement réchauffé la température ! Après coup, on a vu qu’avec sa présence, qui est bien sûr une référence aux risques épouvantables que prennent les pilotes sur les circuits, la pochette rappelait non seulement la cover de Wish You Were Here de Pink Floyd mais aussi l’album de Rage Against The Machine avec le moine bouddhiste qui brûle. Ce n’était pas intentionnel mais maintenant, c’est frappant ».

Et la vieille Mercedes derrière, dont on ne voit que l’arrière ? Il faut la voir comme une référence à « Dans La Merco Benz », son morceau qui sortait en 2007 et qui captait, déjà, l’attention des bagnoles pour exprimer l’idée de ces routes que l’on prend parfois sans savoir où elles nous mènent vraiment. Hit the road, Jack.

Le son

Avec Grand Prix et trois ans après la sortie de Volver (2017), Benjamin Biolay se replonge dans les mélodies savamment orchestrées de ses cousins britanniques, et particulièrement ceux de Manchester — ils nous disaient encore son adoration pour les chansons et pour les pochettes des Smiths et de Morrissey — afin de sortir un disque aux allures pop qui reprend à son compte la métaphore de l’automobile qui dépasse, à vitesse conséquente, les existences sans même prendre le temps d’y jeter un coup de rétroviseur. Dans le rétro justement, il y a aussi ses expériences récentes latines, comme ce morceau qui groove sous des airs de bossa nova moderne, proposé avec la chanteuse Keren Ann. « Mon cœur c’est un vieux moteur / Si tu soulèves le capot », confie-t-il dans « Comme une voiture volée », single qui fera danser les nostalgiques et entraînera les autres dans un nouveau tour de piste, le genre à ne s’interrompre que le jour où les dépanneuses viennent faire le tour du propriétaire afin d’évacuer, il y a un moment pour ça, les plus fatigués du circuit.

Benjamin Biolay (Site officiel / Facebook / Instagram / YouTube)

Mathieu César (Site officiel)

Benjamin Biolay, Grand Prix, 2020, Polydor / Universal Music, photo de Mathieu César