Babx x Laurent Allaire x Yoan de Roeck – Cristal Automatique #1


Babx - Cristal Automatique

Désormais à la tête de son propre label, voguant donc librement sur les sphères merveilleusement atmosphériques de ses divagations musicales, Babx offre dans ce Cristal Automatique #1, un spectre sublime de poésies modernes. Servi par les portraits à la fois artisanaux et traficotés de Laurent Allaire, cet album est un objet onirique, empreint de cette folie douce qui caractérise si bien David Babin, dit Babx.

« Comme un bison dans son destin »

Cheveux hirsutes et air de clown triste tout droit sortis de l’imagination de Tim Burton, Babx fait ici son herbier poétique, nous présentant ses plus belles plantes littéraires. Ce sont les pages des poètes qui ont marqué sa vie que l’on tourne. Des vers sensuels et vengeurs d’un Jean Genet, au lyrisme terriblement solaire d’Aimé Césaire, en passant par la prose âpre et sensible de Tom Waits : on traverse des destins sur le fil électrique d’un Babx tout en nuances. Deux ans après Drones Personnels, une quête lunaire, on entre ici avec beaucoup de délicatesse sur des terres mystérieuses de sortilèges de mots. Et c’est avec son nouveau label Bisonbison, dont le poète Gaston Miron a soufflé le nom dans son poème La marche à l’amour, que Babx met en musique ces mots mille fois récités.

Pour illustrer cette balade poétique en onze épopées, Babx a demandé à Laurent Allaire de grimer, d’habiller, d’interpréter les portraits de chacun des auteurs présents sur le disque. Comme un cadavre exquis qui s’illustre en huit œuvres, le dessinateur donne sa vision entre collages et détournements d’images dans un souci artisanal. « Zero photoshop, ni intervention numérique. » L’idée pour Babx est de mettre en avant un travail fait à la main. Comme le poète artisan qui joint les mots pour en faire des serments éternels, à base de bout de sentiments, de morceaux d’âmes, de ciments d’errance. Goûter le bitume gris et sale de Jack Kerouac, qui s’illustre dans le livret, derrière des structures métalliques industrielles, armé de plumes d’indien, laissant une empreinte mystique. Révéler des portraits, offrir une réalité trafiquée, parfois fantasmée : ce qu’incarne la poésie. Laurent Allaire met en scène huit entités poétiques à partir de photos existantes, leur rendant « leur caractère un peu vaudou, bandits et/ ou iconiques », souligne Babx.

« De Magie Noire ! »

Dans le titre inaugural sous forme de « conversation » exultent quelques phrases de poètes : « Il ne faut pas déposer de la musique le long de n’importe quel vers, comme ça, histoire de faire des chansons », balance Léo Ferré. Tandis que les « magie noire » d’Antonin Artaud surgissent, devant le piano aussi inquiétant que des soirs de pleines lunes. Sur la batterie quasi-militaire du Bal des pendus de Rimbaud, Babx invoque à moitié gueulard « les squelettes de Saladins ». Tout en nuances, la force de David Babin oscille entre une douceur candide et une folie libertaire. Hurlant comme un fou chantant, comme Ferré lorsqu’il s’énerve avec grâce dans « La vie d’artiste ». La sensation que quelque chose s’arrache à lui lorsqu’il chante.

Sous le trait de Laurent Allaire, on découvre un Rimbaud flamboyant, sorte de Belzébuth aux cornes fleuries, comme un totem funeste et lyrique à la fois.

« Je chante pour passer le temps » chantait Ferré lorsqu’il reprenait avec génie Aragon. Dans Cristal Automatique #1, on retrouve ce côté tout en retenu avec des pianos nostalgiques mais aussi des rythmes effrénés qui incitent à l’écoute, à la course absolue des vers en prose osée.

Mallarmé, qui inventait des mots juste pour que ça sonne, parlait de la beauté des vers mais des sens aussi. Ici, les mélodies semblent répondre aux assonances avec force sous la voix précise de Babx qui accouche de chaque mot comme s’il les lâchait avec une précaution émouvante.

Dans La mort des amants, les cymbales exultent, sur des envolées fiévreuses, comme une transe vaudou qui prend aux tripes. Laurent Allaire transforme Baudelaire en fakir percé qui expose ses « miroirs jumeaux », criblés de balles. Après l’extrêmement touchante Marche à l’amour de Gaston Miron, Le Condamné à Mort nous embarque dans une ambiance à la Fight Club. Le piano grince de temps en temps comme dérapant sur les délicats propos facétieux du géant Genet. On entend les moiteurs des lèvres, les respirations, atypiques, comme une chanson hors des rythmes de Barbara qui crée son propre langage.

Il y a une mise en abîme du propos. Babx se fait réalisateur, révélateur de trésors précieux, et le cadre noir choisi par le graphiste Yoan de Roeck, qui entoure le lumineux dessin de Laurent Allaire, en couverture, invite à cela.

Aimé Césaire en ouverture

Derrière le papillon façon masque vénitien un brin tribal, on perçoit un regard, qui se brouille sous le trait poétique du dessinateur.

« Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant » disait Rimbaud. Le regard du poète sur les choses. Allaire semble ici, à travers ce portrait d’Aimé Césaire, faire écho à tous les poètes qui jalonnent l’album. On semble retrouver sur ce loup mystérieux, le « murmure de jours à mes cils d’abeilles » de Gaston Miron.

Quelque chose d’absent, à l’instar du titre « Watch Her Disappear », humide comme dans une cave en noir et blanc, avec l’élégant violoncelle qui déploie une partition émouvante, en accord avec l’écorchure des textes de Tom Waits.

La voix se tend, se ressert comme les fils cousus sur les lèvres du poète martiniquais dont les traits rappellent les puissantes sculptures d’Ousmane Sow.

Ce visage est masqué et en même temps, il livre un regard intime déchirant. « Allo, allo » : on entend de loin cet écho du « Crystal Automatique » d’Aimé Césaire qui a inspiré le nom à l’album.

Une ritournelle que nous offre Babx pour conclure ce disque avec des pics nostalgiques aussi tranchants qu’un tango argentin.

A la fin de l’écoute de l’album, on caresse ce côté rêche, brutal du papier cartonné comme les percussions qui s’écrasent sur la porosité des mots. Cette poésie à la fois absconde et très palpable, avec des sens simples, semble proche de nous. Les vers si mélodieux épousent tellement bien la diction à la fois mesurée et décousue de Babx, que Cristal Automatique #1 fait de nous des bisons bizus, ivres de poésie.

Le son `

Deux ans après son album Drones Personnels, Babx revient avec Cristal Automatique #1 (un second opus suivra), une galette poétique qui met en musique huit auteurs dont les vers ont marqué et inspiré le chanteur aux atmosphères très cinématographiques. Pour sortir ce disque, il crée son propre label, Bisonbison. On retrouve ici toute la richesse de ses orchestrations et la folie douce qui le caractérise aussi bien dans le chant que dans les envolées de son piano « aux pieds hoquetiques ».

Babx (Site officiel/Facebook/Twitter)

Babx, Cristal Automatique #1, Bisonbison, 50 min, dessins par Laurent Allaire, design par Yoan de Roeck