Aluna x Chris Maggio — Renaissance


Réputée proche des communautés LGBTQI+, féministe revendiquée, impliquée de manière ostentatoire dans le mouvement Black Live Matters — sa lettre ouverte, qui dénonçait la récupération de la Dance Music par la culture occidentale, avait fait beaucoup de bruitAluna Francis, devenue Aluna après la fin de son aventure musicale avec le producteur George Reid (AlunaGeorge), accompagne son premier album solo d’une pochette sur laquelle figure un condensé coloré de ces petites colères devenues de grands combats.

Pas de genre, beaucoup d’audace

Les genres, sur ce tableau photographique signé Chris Maggio, ne sont pas définis car aucun des personnages ne souhaiterait sans doute le faire, des bouteilles sont pourvues d’étiquettes qui laissent le choix, bien que l’on devine l’idée d’Aluna sur le sujet (« Pro life » sur l’une, « Pro choice » sur l’autre), tout le monde a la peau noire et l’allure résolument libre. Freedom.

Il y a quelques billets de banque, du champagne et du vin rouge que l’on suppose de (très) bonne qualité, et un cadre d’or qui entoure la scène (ils ne sont pas assez pour que ce soit une cène, mais il y a un peu de ça tout de même) d’une élégance très noble. Noble, comme l’idée que l’on peut se faire de la Renaissance, le titre de ce disque qui fait écho à l’enfant qu’a récemment eu Aluna et à une prise de conscience nouvelle sur l’état, sexiste et raciste lui aussi, de l’industrie du disque, mais qui pourrait aussi très bien évoquer cette période historique (la fin du XVIe siècle) durant laquelle les humains sont sortis de l’obscurantisme pour se projeter, doucement, vers le siècle des Lumières.

Aussi, il y a un personnage vêtu avec les parures de Wonder Woman, à la droite de cette photo qui rappellera à certains celles du photographe David LaChapelle, et qui rappellera aussi l’importance pour Aluna des luttes qui impliquent la plus grande minorité paradoxale du monde, celle des femmes.

Aluna, Alice… et le Chapelier Fou

Aluna, au centre du tableau — car il s’agit tout le même de la pochette de son album solo — est occupée à une tâche qui n’a rien de politique mais qui suggère sa passion pour une activité purement anglaise (c’est une question, là aussi, de suggérer le métissage), celle du versement appliqué du thé. Elle porte la théière au-niveau de son épaule, vise soigneusement une tasse que le cadre ne nous permet pas tout à fait de voir, et fera bien attention à ne pas le renverser sur les multiples fruits qui donnent à cette grande tablée des allures de grand festin. Une map monde vintage, aussi, traine sur la table au-dessus d’Aluna, qui a choisi de se vêtir comme le Chapelier fou (« The Mad Hatter » en version originale) de Lewis Carroll.

Aluna a décidé de devenir le Chapelier et non pas Alice — l’idée, pourtant, aurait pu se défendre —, et il se pourrait bien qu’il faille voir ici une démarche féministe, puisque c’est toujours sous les traits d’un homme — chez Carroll comme dans les multiples versions proposées par Disney — que le chapelier, condamné à mort parce qu’il était « en train de battre le temps » devant la Reine mais qui fini par échapper à la décapitation, est représenté. Beaucoup de pistes, peu de réponses, aucun problème : parfois, ce sont les questions qui prévalent plus que le reste.

Le son

Sans George mais avec d’autres (elle reçoit, sur ce disque, l’aide des producteurs Jungle, SG LEWIS, Kaytranada ou encore Lido), Aluna tente la voie d’une dance music plus frontale, toujours forgée dans ce R&B funky qui faisait hier la recette d’AlunaGeorge. Des morceaux réservés avant tout aux dancefloors un peu moites (« Sneak », « Envious », « Don’t Hit My Line ») et un featuring réussi avec une autre figure régalienne de la pop indé, versant R&B et britannique — Princess Nokia —, morceau sur lequel se cale également la jamaïcaine Jada Kingdom (réseau Diplo, patron du label sur lequel ce disque est signé).

Aluna (Site officiel / Facebook / Instagram / Twitter / YouTube)

Chris Maggio (Site officiel / Instagram)

Aluna, Renaissance, 2020, Mad Decent / Because Music, 47 min., artwork de Chris Maggio (photo), Route (direction artistique) et Fisk Studios (design).