Depuis les Pays-Bas et depuis la sortie de leur premier album On (2018, Les Disques Bongo Joe), Jasper Verhulst et les membres d’Altın Gün pensent une musique inspirée par ce mouvement qui, dans les années 70, associait folk turque et psychédélique anglo-saxonne (la pop anatolienne), remettant au goût du jour des sonorités métissées et chantées dans la langue d’Erkin Koray, de Moğollar, de Baris Manço.

Illustré par un visuel éclatant et solaire signé Floor van het Nederend, l’album avait été suivi par un deuxième (Gece, artwork de Marina Tadic) et aujourd’hui par un troisième, Yol, qui oriente désormais la musique d’Altın Gün non plus vers les années 70, mais plutôt, parce qu’elle a progressivement échangé les guitares perchées et enfumées contre les synthés analogiques, vers les années 80.

Niveau visuel, par contre, on ne change pas, si ce n’est d’interlocutrice. Anne Caesar poursuit le travail mené par Floor van het Nederend et par Marina Tadic, et nous raconte cet artwork qui évoque une nouvelle fois les paysages d’une Turquie fantasmagorique… et vue à travers le prisme d’un enfant qui, plutôt que le regarder avec les yeux du vrai, aurait plutôt fait le choix de le regarder avec ceux du rêve.

Bonjour Anne. Comment as-tu été amené à travailler avec Altın Gün ?

Avec Jasper Verhulst (le bassiste et fondateur du groupe, NDLR), nous nous connaissons vaguement de la scène musicale néerlandaise. Avec notre groupe Karawane (un album éponyme sorti en 2015), nous sommes signés sur le même label qu’Altın Gün, Excelsior Recordings. Je suis également illustratrice pour plusieurs journaux aux Pays-Bas, et Jasper et Altın Gün ont manifestement pensé que je pourrais également illustrer leur nouvel album.

Le brief du groupe a été assez libre, il était plus sensible que descriptif : ils voulaient quelque chose de minimaliste, de rêveur, de mélancolique, proche de ce que proposait l’école Bauhaus dans les années 1920, quelque chose qui aurait évoqué l’idée de “sur la route”.

Certains artistes, lorsqu’ils reçoivent ce genre de demandes et qu’ils possèdent déjà par ailleurs un répertoire important de travaux, piochent dans leur travail personnel pour tenter d’y trouver quelque chose qui pourrait convenir. Cette pochette, ainsi, a-t-elle été une création spécialement réalisée pour cet album ou la réutilisation d’un travail existant déjà ?

C’est une création originale. J’ai toutefois déjà proposé au cours des dernières années quelques travaux avec ces soleils brillants utilisés ici. C’est une manière, pour moi, de raconter des histoires de manière minimaliste, en laissant la porte ouverte à de nombreuses interprétations.

Dans mon travail, le plus souvent, j’essaie de garder ma palette de couleurs rouge, blanc et noir. Mais pour Altın Gün, je l’ai adaptée.

Excepté bien entendu les huit soleils que l’on dénombre sur la pochette, cette photo représente-t-elle un endroit précis en Turquie ?

Non, ce n’est pas le cas. Yol, en turc, signifie “route”, et j’ai ainsi voulu, avec cette image,  illustrer le sentiment que vous avez lorsque vous vous retrouvez à l’arrière d’une voiture en regardant défiler le paysage par la fenêtre, et notamment lorsque vous êtes enfants.

J’avais besoin, afin de pouvoir créer une perspective de grenouille (afin de rendre le spectateur “plus petit”), de quelque chose de grand dans la composition. Je sais que la plupart des personnes regarderont uniquement l’image sans se rendre compte de cette intention, mais j’espère que disons, 10% de ces gens ressentiront ce que j’ai voulu dessiner !

Pourquoi cette multiplication des soleils ?

Je voulais donner à cette image une sensation plus psychédélique, ainsi qu’un soupçon de mouvement. J’essaie toujours de rechercher une petite variation dans la réalité, juste pour la rendre à nouveau intéressante.

Comment, techniquement, as-tu réalisé cette image ?

Pour toutes mes illustrations, j’essaie de faire la plus grande partie de mon travail à la main.

Ça en a été de même pour cet artwork. J’ai d’abord fait mes croquis dans une version très simple, au crayon.

Puis je me suis finalement décidé à utiliser davantage de couleurs. J’ai donc recommencé mon dessin, mais en numérique cette fois, via Photoshop. 

Le groupe a eu l’idée d’imprimer l’artwork à l’envers sur la pochette du disque. Ainsi, l’intérieur de la pochette est à l’origine la zone d’impression extérieure. En raison de la texture du papier, cela lui donne un aspect granuleux.

En posant un œil définitif sur ce travail et en tentant de ne pas tenir compte du contexte dans lequel il a été créé, quelle signification accordes-tu à cette pochette ?

Pour moi, c’est le sentiment d’un enfant assis dans une voiture sur la banquette arrière lors d’un long voyage. Un enfant qui regarderait dehors, à moitié endormi, et voit soudain ce chapelet de soleils. Mais bien sûr, quelques instants plus tard, c’est parti et au moment où vous dites à vos parents ce que vous avez vu dehors, ils ne vous croiront pas !

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Anne Caesar (Instagram)

Altın Gün, Yol, 2021, Glitterbeat Records, 41 min., artwork d’Anne Caesar