Allah-Las x John Divola — Zuma 85
À la question de savoir si la misère est bien, ou non, moins pénible au soleil, on bottera une nouvelle fois en touche et laissera aux principaux concernés le soin de répondre. À la frontière limitrophe qui existe parfois entre une vision du beau et une vision du laid, on se réfèrera, et parmi les millions d’exemples qui existent sur le sujet, à cette photo de John Divola (issu d’une série de 1977) pour Allah-Las, le projet de ces Californiens dont le premier album, éponyme, est sorti en 2012 et dont le cinquième, une dizaine d’années plus tard, souffle la sensation contraire du sublime et du crado sur un même espace.
Sunrise
D’un côté, la vision d’une côte ouest californienne où le soleil perce l’horizon et habille le ciel d’un coloris jaune orangé. C’est beau comme un coucher ou un lever de soleil (en termes de « beau », les deux se valent), et comme cet émerveillement quotidien qui habite celles et ceux qui sont capables de prendre le temps de s’émerveiller encore devant ces grands miracles-là.
De l’autre, l’intérieur d’une maison sans doute abandonnée — une récurrence dans le travail de Divola, artiste visuel qui s’est passionné pour le sujet —, où traîne une vieille couverture, de vieux journaux et magazines, les débris de verres qui étaient certainement rattachés aux vitres des fenêtres, brisées, qui donnent sur l’extérieur. Les rideaux, eux aussi, sont déchirés. Il semblerait qu’une partie soit au sol, près du reste du grabuge, comme s’ils avaient dû servir, une nuit de grand froid, à ajouter une couche supplémentaire sur une couverture pas assez épaisse.
Vagabond
Un vagabond y a sans doute séjourné une ou plusieurs nuits. Ces détritus sont les siens et cette vue l’a accompagnée aux dernières comme aux premières lueurs du jour. Le vertige et le chaos. L’espoir et l’abandon. La lumière et les ténèbres. On pourrait les multiplier. Et juger que si les membres d’Allah-Las ont voulu manifester ici l’écart qui sépare leurs premières productions discographiques, lumineuses et mélodiques, des nouvelles qui s’avèrent empreints d’une introspection existentielle très nette (le Covid, chez, eux aussi, est passé par ici), on admettra surtout que cette image dit les deux écarts qui peuvent parfois se manifester au sein d’une même existence. Et cohabiter parfois de manière étonnante.
Allah-Las (Site officiel / Facebook / Twitter / Instagram)
John Divola (Site officiel / Instagram)
Allah-Las, Zuma 85, 2023, Innovative Leisure / Calico Disco, 48 min., photo de John Divola.