Alex Smoke x Finlay MacKay – Love Over Will


Alex Smoke x Finlay MacKay – Love Over Will

La vision troublée du monde présent émanant du duo Alex Smoke / Finlay MacKay fait froid dans le dos. Déjà, parce que cet être complètement dénudé qui nous est présenté nous donne la crève rien que d’y penser, à se tenir là comme ça, en plein courant d’air, sur ces rochers en bord de mer, sans le moindre vêtement sur le dos. Et puis surtout parce que cet être (compliqué d’employer un autre terme tant sa nature est difficilement identifiable), il cumule sur le même corps et sur le même visage des entités provenant, manifestement, d’humains différents. On avait noté l’an passé pareille déformation troublante des chairs, avec les travaux d’Alex de Mora pour Blanck Mass et de Pierre Bujeau pour Balladur. Finlay MacKay, pour ce troisième album d’Alex Smoke, va plus loin encore. Et fait songer au Love de Gaspard Noé (le sexe en érection, véritable leitmotiv visuel du film du Français) tout autant qu’à l’Antichrist de Lars Von Trier (l’état bouleversé de la chair).

L’homme et la femme, sur le même corps

Ainsi, ce personnage-là, les cuisses écartées afin que l’on constate bien l’état de son anatomie la plus intime, est à la fois pourvu d’un sexe d’homme (en érection, et tenu par une main décidée) et d’un sexe de femme (rasé, et positionné juste en-dessous de l’autre). Des seins trônent sur sa poitrine, et six bras sont au total reliés à son corps. Sa figure, elle, est quadruplée, et laisse apparaître à trois reprises le visage d’une fille (qui est sûrement toujours la même), et une seule fois le visage d’un garçon. L’androgynie, c’est certain, n’avait encore jamais atteint de telles proportions…

On pourrait d’abord croire que c’est l’acte sexuel (et par résonance : l’acte amoureux) que l’on évoque ici. Ou plutôt, compte tenu de l’expression furtive, floutée et souffreteuse des visages, de la situation « post amour ». Comme si les rêves d’hier, ceux-là même qui sont plus tard devenus cauchemars (entendons : ces amours que l’on désire et qui n’aboutissent jamais à ce que l’on aurait vraiment voulu), s’entremêlaient et se croisaient tous au même instant, convoqués par un état mental particulièrement affaibli. Coïncidence fatale, car lorsque les névroses amoureuses partouzent, l’esprit se dérègle.

La liberté selon Thelema

Le sens véritable et exact de la pochette de Love Over Will, qui vient compléter une iconographie qui n’avait jusqu’ici rien de particulièrement trash (mais qui déjà, tout de même, véhiculait une certaine atmosphère pesante), est en réalité (encore) plus complexe que ça. On l’apprend sur le site de R&S, le label sur lequel l’Écossais vient de faire paraître ce 3e album (pas étonnant : c’est le même que James Blake, autre mélancolique chronique) :

« Finlay est un vieil ami et un photographe de grand talent. Je lui ai donné l’album, le titre, quelques indications, et lui ai laissé les rennes en ce qui concerne la pochette. Le titre de l’album est une référence à Thelema, la religion New Age de Crowley, et l’image qu’a réalisé Finlay lui fait clairement référence. »

Lorsque l’on fouille un peu, effectivement, le clin d’œil est flagrant. Ce corps dénudé aux membres nombreux, imite en effet la forme de l’étendard de cette pensée philosophique (religion, affirmeront certains) mise sur le devant de la scène par l’écrivain Aleister Crowley en 1904, un système résumé par trois phrases qui permettront de dresser un lien définitif entre le titre de l’album et les formes de sa pochette :

– « Fais ce que tu voudras sera le tout de la Loi » Liber ALI:40
– « L’amour est la Loi, l’amour sous la volonté » Liber ALI:57
– « Il n’y a d’autre Loi que Fais ce que tu veux » Liber ALIII:60

Amour, liberté et libre-arbitre. Et la nudité comme volonté de vanter les mérites de la pensée de Thelema, tout en condamnant, aussi, les excès puritains et moralement spoliateurs du siècle XXI :

Thelema

« L’utilisation de la nudité a aussi quelques choses à dire sur notre rapport à elle. Pourquoi la nudité et la sexualité sont-elles honteuses, alors qu’assassiner quelqu’un, graphiquement parlant, est autorisé ? L’artwork est une réponse à l’album mais aussi parfaitement en accord avec l’époque dans laquelle nous vivons ».

Ironie du sort, prévisible : deux versions de la pochette existent. L’une, libérée, qui laisse visible les éléments reproducteurs du protagoniste mutant, et l’autre, autocensurée (sur la page Facebook de Smoke, l’artwork complet n’apparaît à aucun endroit…), qui floue les sexes afin d’échapper aux paradoxes et aux morales contemporaines…

Alex Smoke x Finlay MacKay – Love Over Will (version censurée)

Le son

Officiellement, l’Écossais Alex Smoke affirme vouloir apporter, avec ce 3e album inspiré par la pensée libérée de Thelema, une solution au pessimisme ambiant qui gravite dans les travées assombries du monde moderne. Démarche louable, mais indéniablement complexe lorsque l’on décide d’émettre l’optimisme via une cold wave aussi glaciale, et que l’on jugerait renoncée (ces voix passées au vocodeur paraissent issues d’un monde où seuls les spectres gouvernent) si l’on avait lu l’avant-propos intellectualisant du garçon. L’espoir serait-il donc à trouver dans le noir ?

Alex Smoke (Facebook / Twitter / SoundCloud)

Finlay MacKay (Site officiel)

Alex Smoke, Love Over Will, 2016, R&S Records, 34 min., photo de Finlay MacKay