Actress x Rob Boon — Karma & Desire


Garçon sensible et sans doute légèrement marginal (quel artiste ne l’est pas au moins un peu ?), Darren Cunningham (qui se fait appeler Actress lorsqu’il enfile ses vêtements de producteur) propose depuis une quinzaine d’années une œuvre vaste, polychrome, plurielle, qui interroge, via une musique électronique minimale, désincarnée, éthérée et souterraine, les normes qui régissent les environs. Actress réfléchit et s’exprime en composant de la musique électronique et c’est sa manière, à lui, de combler les brèches laissées par le reste.

Romance & Tragédie

L’amour naît et puis, il meurt, sa renaissance se fait parfois par le biais de cet art dans lequel on imprègne les souvenirs de ce qui, hier, avait été si intense, si constructif, si destructeur. Karma & Desire, le nouvel album d’Actress qui, pour la première fois, invite les voix des autres sur ses productions à lui (on y entend celle de Sampha, de Zsela, d’Aura T-09, de Rebekah Christel), a été pensé comme « une tragédie romantique qui se déroule entre les cieux et le monde souterrain ». Le britannique y évoque, sujets classiques et récurrents dans son univers volatile, numérique, bizarrement sacré, « l’amour, la mort, la technologie, le questionnement sur l’être ». L’album suit le cheminement d’un corps humain, transformé en autre chose, réincarné d’une manière étrangement idyllique. Pour Darren, c’est créer pour s’interroger, et créer pour graver dans le marbre (ou en l’occurrence, dans le digital) un peu de son propre passé.

Le karma d’un côté, et le désir de l’autre. Les vies antérieures et les actions passées qui déterminent la destinée des individus vivants, et les pulsions, mentales ou physiques, qui ne demandent qu’à être satisfaites. Comment illustrer une telle idée, sibylline et métaphysique ? Actress a travaillé avec le designer Rob Boon et son Inventory Studio, un artiste londonien qui raconte cette collaboration qui aura abouti à ce curieux artwork qu’on croirait tout droit issu d’une séance d’espionnage menée par un détective convoqué afin de récolter des informations sur un individu qu’on aurait vu à bord d’une break et dans un pays où les palmiers ont suffisamment de soleil qui s’abat sur la carcasse de bois pour pouvoir s’élever dans les cieux. Rob Boon :

Je n’ai pas voulu créer une pochette mais plutôt aider à construire le monde autour de cet album.

Rob Lee

« Je n’ai pas voulu créer une pochette mais plutôt aider à construire le monde autour de cet album. Les idées sont toutes venues de l’écoute de la musique de Darren et des thèmes qu’elle contient. Celles-ci ont été explorées et reliées dans un incroyable court-métrage [à venir prochainement, NDLR] de Lee Bottee dans un monde où l’entreprise rencontre le céleste, où la romance se mêle à l’espionnage. Au début, Lee et moi avons parlé de nos idées autour de ces concepts et les aspects 2D et 3D ont été développés en tandem avec les concepts du film de Lee qui façonnent la conception de la pochette. Et vice versa.

Le concept a été construit autour d’une série de fichiers de surveillance créés par un bureau d’enquête « invisible » qui documentent des fragments d’un récit brisé. Il y a des références à des documents expurgés archivés, des microfiches, des technologies de surveillance analogique et de reconnaissance faciale.

L’album comporte des photographies qui suggèrent un temps et un lieu qui ont été capturés dans différents modes de ‘surveillance’ et en accord avec l’esthétique minimale et monochromatique d’Actress, chaque sortie est caractérisée par une image principale et une couleur dominante et pleine de caractère typographie. 

L’album est disponible en différents formats et se compose d’un sac en aluminium antistatique et un autocollant, la double pochette de l’album et deux pochettes intérieures (qui comportent une version bitmap corrompue basse résolution de l’image de couverture avec un code QR caché) les deux vinyles en différentes couleurs, un disque caché scellé dans une pochette détachable et une carte de visite du bureau invisible. 

Nous l’avons conçu comme une identité autonome avant l’album et il est notre protagoniste dans le monde de « Karma & Desire ».

Rob Boon

Sur toutes les manches et toutes les versions, vous verrez également le logo Unseen__Werk, icône d’une mystérieuse figurine portant un chapeau. Nous l’avons conçu comme une identité autonome avant l’album et il est notre protagoniste dans le monde de Karma & Desire. ».

Le son

Artiste singulier, le producteur Actress, lorsqu’il ne revisite pas Stockhausen ou Steve Reich ou qu’il ne livre pas, avec le British Arts Council, une œuvre commémorant l’indépendance de l’Inde, travaille sur un album — Karma & Desire — qui expérimente une mutation profonde et organique des corps. Une mutation théorique qui s’accompagne aussi, pour Actress, d’une mutation artistique puisque pour la première fois, ce londonien qui a également passé sous sa moulinette électronique le Frankenstein de Mary Shelley, accompagne ses productions de voix émanant de véritables humains, de Sampha (le très beau « Walking Flames ») à Rebekah Christel. Une réussite pour cet artiste définitivement devenu l’acteur, contestataire et cérébral, de sa propre vie.

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Actress, Karma & Desire, 2020, Ninja Tune, artwork de Rob Boon