A Strange Wedding x Victoria Audouard — Black Magic Rituals


Un axiome absolu, d’abord. Le visuel qui orne une pochette de disque est censé accompagner le disque en question. Naturellement, oui. Lui donner sens, permettre à un art immatériel et très sensoriel — la musique — de se voir prolongé, donner à un son, mouvant par définition, une image, fixe et immobile. La musique peut se concevoir seule. Sa pochette beaucoup moins. L’un vogue, autonome et libre, lorsque l’autre demeure cadenassé à tout jamais au service d’autre chose que sa propre existence.

Les cauchemars sont de mauvais rêves

Seule et détachée du disque qu’elle illustre, cette image créée par Victoria Audouard, photographe française dont le travail oscille entre le mauvais rêve et le gros cauchemar, ne fait guère exception car, éloignée de son élément complémentaire, elle ne dit pas grand-chose. Ce n’est pas qu’elle soit belle ou ratée, pas du tout et ce n’est pas le propos, c’est qu’elle est opaque, dénudée de toute signification immédiate, enveloppée dans un mystère sévère qui ne voudrait pas dire son nom.

Mais dès lors que la musique à laquelle cette image est associée ici — le disque Black Magic Rituals de A Strange Wedding — résonne, tout s’éclaire ou plutôt, dans la pénombre tamisée de cette image-là, une petite lumière s’allume, indiquant la voie d’une compréhension plus nette de l’affaire.

« L’idée derrière cette pochette était de faire transparaitre la dimension rituelle, psychédélique et introspective présente dans ma musique », dit Adrien van de Velde, le producteur derrière le pseudo A Strange Wedding (« un mariage étrange », si l’on traduit), qui avait aussi pour ambition de témoigner, avec cette image, de « la dimension de paysage sonore » du disque.

Le producteur énumère quelques termes pour définir sa musique. Les mots « aquatique », « marécageuse », « batracienne » ou « sous-bois » en ressortent. Les flots déversés par sa techno froide, distante et curieusement organique stagnent dans des espaces reclus, une transe bizarre en émerge, qui convoque à la surface des spectres venus des profondeurs, des murmures incertains, des rumeurs d’ailleurs. « Tous ces éléments participent à créer un imaginaire autour du magique, du spirituel, de phénomènes inexplicables. »

Le disque a débuté et ainsi nous sommes lancés. On les voit alors presque s’animer, ces figures qui, sur ce travail de Victoria Audouard, épousent la forme de danseuses sans structures ordinaires, qui scintillent et qui s’évaporent vers une perception bien peu habituelle du monde.

« Pour moi, il était essentiel que cette pochette soit une composante de cet imaginaire », dit le producteur en songeant au travail de la photographe. « Je pense qu’elle l’a réussi admirablement par la tension entre le figuratif et l’abstrait. Un nuage de points qui s’agglomèrent pour donner à percevoir une scène où des spectres tournent autour d’un rayon émergeant d’un vortex. Ce que j’aime, c’est que l’image ne nous donne pas plus d’informations que cela. C’est l’imagination, influencée par la musique, qui prend le relai pour tenter de percer les mystères de cette scène étrange. »

« Mais si l’on regarde d’un peu plus près, on retrouve des éléments suggérés qui structurent la composition, notamment la forme du cercle qui représente à la fois l’unité, la danse autour du feu, mais aussi la structure même de la musique électronique basée sur des répétitions de séquence.  On retrouve aussi l’idée de dualité, de communication.

Enfin, quelque chose que j’aime beaucoup avec cette pochette est que l’on puisse renverser la composition suivant le sens dans lequel on la tient, renversant ainsi toute l’histoire qu’elle raconte, ce qui est intéressant pour un objet qui se manipule comme un vinyle. ». 

A Strange Wedding (Facebook / SoundCloud)

A Strange Wedding, Black Magic Rituals, 2021, Worst Records, artwork par Victoria Audouard