JJ Cale x Stéphane Sednaoui – Stay Around



Il est vrai que la lumière des projecteurs, lorsqu’elle est reçue en pleine face, aveugle de manière considérable. Et certains préfèrent s’assurer, en toutes circonstances, de garder la vue. Le guitariste virtuose américain JJ Cale, qu’un patron de cabaret a renommé ainsi dans les années 60 pour qu’on ne le confonde pas avec John Cale, le multi-instrumentiste avant-gardiste du Velvet Underground, a passé sa carrière dans l’ombre de ceux qui ont repris, parfois avec un succès phénoménal (« After Midnight » ou « Cocaine » d’Eric Clapton sont sûrement les deux meilleurs exemples) quelques-uns des titres de son répertoire. Captain Beefheart, Santana, Brian Ferry, Chet Atkins, Johnny Cash, Beck, Spiritualized, Lucinda Williams, The Band, Widespread Panic, Freddie King, aussi. À ce sujet, rien ne fut subit, tout fut volontaire. Car il y a ceux qui aiment lézarder au soleil, étendus sur la plage, et parader plus tard avec des vêtements clairs et des sourires éclatants. Et ceux dont la peau, rien à y faire, ne le supporte pas.

Ombres & lumières

Une quinzaine d’albums de son vivant, peu de tournées, peu d’interviews, un show-business tenu à distance respectable, un home-studio utilisé à foison, et une carrière passée dans un relatif anonymat malgré le succès, certain, de sa musique, que certains ont classé dans le blues, d’autres dans l’americana, ou dans la country music, et d’autres encore, plus précis sans doute, dans le « Tulsa Sound » un blues teinté de country et de jazz qu’il a largement contribué à créer. Pour vivre heureux, vivons cachés ?

Caché, JJ Cale l’a justement été pendant longtemps, et notamment sur les pochettes de ses disques, illustrés le plus souvent par des images dont on pourra contester le bon goût, et sur lesquelles sa silhouette n’apparaîtra pour la première fois qu’en 1980 sur Shades, et plus nettement, en 1983 sur JJ Cale N°8, plus de dix ans après la parution de son premier album Naturally, en 1972. Son visage, lui, ne sera visible clairement sur le visuel de l’un de ses disques… qu’en 2004, à l’occasion de la sortie de To Tulsa and Back. À titre d’exemple, chez Eric Clapton, ami fidèle et collaborateur de longue date (ils ont signé ensemble l’album The Road to Escondido en 2006), c’est l’inverse : compliqué de trouver un album, chez un disquaire spécialisé ou dans des enseignes qui le sont un peu moins, sans son visage affiché de manière évidente. Lorsque c’est le nom qui fait vendre, alors, autant, dans le même temps, faire figurer nettement le visage.

Album posthume, portait discret

Décédé en 2013 du côté de Los Angeles, le guitariste n’échappe pas aujourd’hui à la tentation, qu’ont eue les autres pour lui, de l’album posthume. Comme pour Alain Bashung, dont Universal Music avait sorti le très beau En amont en fin d’année dernière, c’est sa compagne – Christine Lakeland – qui a été chargée de la piloter, cette sortie posthume qui, comme chez Bashung – ce n’est pas si fréquent – est absolument réussie. C’est que dans le cas du français comme de l’américain, le travail, s’il est signé par celle qui fut la compagne de vie, l’est également surtout par une authentique musicienne, qui connaît le job. Ce fut Chloé Mons dans le cas d’En amont, et c’est Christine Lakeland – guitariste aux côtés de JJ Cale en studio comme sur scène – dans le cas de Stay around, une musicienne qui est également intervenue dans le choix du visuel d’un disque qui utilise une photo du célèbre réalisateur et photographe français Stéphane Sednaoui (des collaborations, pêle-mêle, avec Björk, Massive Attack, The Red Hot Chili Peppers, Dépêche Mode, Charlotte Gainsbourg, Libération, Le Monde…)

Et cette photo-là, elle paraît synthétiser à elle seule, la teneur et le mystère du personnage JJ Cale. Le musicien est photographié de face, mais ne paraît pas forcément à l’aise avec l’objectif, comme l’indique cette tête qui se repose, avec un détachement qui pourrait passer pour de la nonchalance, sur un bras et une main sollicités afin de soutenir la tête. Arrogance ? Indifférence face à ce qui se trame, peut-être. Car sur cette photo, et comme il paraît l’avoir fait tout le long de sa vie, ce n’est pas vraiment l’objectif qui regarde JJ, mais bien JJ qui, indifférent mais bien présent, le regarde…

Le son

De son vivant, JJ Cale avait l’habitude de laisser, lorsqu’il s’agissait de compiler les morceaux pour la parution prochaine d’un disque, quelques sons de côté, en se disant qu’il reviendrait travailler dessus plus tard, car pour ceux-là, ce n’était pas encore le moment. La plupart terminaient sur les disques suivants, et d’autres restaient là, inutilisés mais bien réels. Ce sont principalement ces morceaux-là, laissés sur le bord d’une route dont on a su retrouver la trace, qui ont été sélectionnés par Christine Lakeland pour composer Stay Around, un album posthume qui s’écoute d’une traite, ou en plusieurs, mais dans tous les cas, l’esprit porté par une sensation étrange : celle de la plénitude idéale et complète.

JJ Cale (Site officiel / Facebook / Twitter / Instagram / YouTube)

Stéphane Sednaoui (Site officiel)

JJ Cale, Stay Around, 2019, Because Music, 49 min, artwork par Stéphane Sednaoui (photo).