Bachar Mar Khalifé x Lee Jeffries – Ya Balad


Bachar Mar Khalifé x Lee Jeffries – Ya Balad

Avec la pochette de Ya Balad (« Ô Pays » en Français) son 3e album sur le point de paraître chez InFiné, le Libanais Bachar Mar Khalifé, la main épaisse cachant un regard que l’on devine préoccupé, rejoint les « gueules » saisies et portraitisées par le photographe anglais Lee Jeffries, lancé depuis quelques années dans une quête photographique orientée vers la captation de ces visages lacérés par la dureté d’une existence passée dans la saleté et la précarité, celle de ces sans-abris croisés dans les plus grandes cités surpeuplées du monde occidental (Los Angeles, Rome, Londres…).

Les transparents au premier plan

Ordinairement méprisés (par dédain véritable ou par gêne existentielle), ces humains que l’on regarde si peu se retrouvent alors dans le rôle de ceux qui fixent, de ceux dont on ne peut plus fuir le regard, de ceux dont on peut enfin distinguer les stigmates de l’âme retranscrits le plus souvent sur le corps (les rides, la crasse, les cernes, les angoisses : rien de tout ça n’est camouflé ici). La série, très loin de l’ambition documentariste (les pauses « scénarisées » des protagonistes et les retouches que l’on devine en témoignent) se nomme logiquement et simplement Homeless. Et celle-ci s’avère d’une force absolument bouleversante.

Sans-abri, Bachar Mar Khalifé ne l’est heureusement pas devenu entre la parution de l’album qui l’a véritablement révélé (Who’s Gonna Get The Ball From Behind, 2013) et la parution de Ya Balad (on sait qu’on ne vend pas des millions de disques chez InFiné, enfin tout de même…). S’il s’est retrouvé sous l’objectif attentif de cet Anglais philanthrope, c’est sans doute plutôt que les deux artistes partagent une sensibilité et une attraction empathique pour ceux qui demeurent, par choix ou par contrainte, en marge de là où il convient de se positionner. En plus de ces albums qui savent chanter la révolte (il avait, entre autres, fait de l’hymne traditionnel koweitien « Ya Nas » un véritable hymne libertaire), on se souvient en effet et à titre d’exemple de la performance de Bachar (Le Paradis de Helki) donnée l’an passé au théâtre des Bouffes du Nord, dans le cadre du festival Beyond My Piano, où il interrogeait avec force la place du souvenir traumatique chez le Syrien confronté aux horreurs grabataires de la guerre civile.

Deux hommes, deux médiums

L’un montre ce que l’on souhaite ne jamais trop regarder. L’autre dit ce que l’on ne souhaite pas forcément formuler. Les deux prennent aux tripes en un instant, à l’aide d’un cliché en noir et blanc, à l’aide de la force de perforation du chant. La collaboration entre les deux est logique, d’autant plus que d’un certain point de vue, Homeless, Bachar l’est un peu aussi. Né en 1983 à Beyrouth, la famille Khalifé (son père Marcel est l’un des grands artistes folk du pays, et son frère Rémi a participé à la fondation d’Aufgang, également signé chez InFiné) joint la France afin de fuir la guerre civile qui déchire alors le Liban durant quinze ans (1975-1990). Si le père repartira, les deux fils resteront pour leur part dans ce pays d’accueil sans oublier pour autant le pays natif. Ya Balad raconte ainsi cette terre abandonnée, cet héritage à porter, ces espoirs pour des lendemains meilleurs.

Homeless. Bachar Mar Khalifé l’est peut-être en fait surtout parce qu’à la lecture de ce qu’il produit depuis maintenant 5 ans, il semblerait bien que son véritable pays se nomme plutôt Utopie. Et celui-ci n’a encore jamais été inventé…

Le son

De ce 3e album pas encore paru, on ne connaît pour l’instant qu’un titre (« Kyrie Eleison »), complainte grave et pesante interprétée en Arabe qui laisse présager l’apparition d’un disque plus sombre encore que ses prédécesseurs. Réponse définitive le 16 octobre, chez InFiné.

Bachar Mar Khalifé (Facebook / Twitter /BandCamp)

Lee Jeffries (Site officiel / Facebook / Twitter / Instagram)

Bachar Mar Khalifé, Ya BaladInFiné, 2015, 47 min., photographie de la pochette par Lee Jeffries