Muse x Kyle Lambert – Simulation Theory


En 2003, deux après après le succès planétaire de leur album Discovery (« One More Time », « Harder, Better, Faster, Stronger », « Digital Love »…), les Daft Punk s’engagent dans le projet Interstella 5555 : The Story of the Secret Star System, un film d’animation qui raconte l’histoire de quatre musiciens enlevés durant l’un de leurs concerts sur leur planète natale, et destinés à devenir, malgré eux, des stars sur la planète Terre… Le film, qui propose un accompagnent visuel aux morceaux de Discovery, allie le son des français Daft Punk au graphisme du japonais Leji Matsumoto, notamment connu pour être le dessinateur d’Albator, le corsaire de l’espace, un dessin animé qui accompagne, parmi d’autres, la jeunesse de Thomas Bangalter et de Guy-Manuel de Homem-Christo, au moment où ceux-ci étaient en train de poser les bases de ce qui allait devenir leur patrimoine culturel et émotionnel propre… Le dessinateur de votre série d’enfance qui réalise un film en offrant une seconde vie à votre album au succès mondial ?  Le succès ouvre des portes auxquelles ceux qui ne le connaissent pas n’auraient même pas envisagé toquer, et pour les Daft Punk, Interstella 5555 s’apparente à la réalisation d’un désir, improbable et divin, que la plupart ne pourraient même pas avoir l’audace de fantasmer.

L’enfant et l’adulte

Voir ses héros d’enfance se manifester de nouveau lorsque l’âge adulte est arrivé, et lorsque, succès aidant, ces héros-là ont déjà largement eu vent de votre succès à vous ? C’est ce qui arrive désormais aussi à Muse et à son leader, chanteur et grand architecte Matthew Bellamy (un enfant, lui aussi, des années 80, puisqu’il est né en 1978), qui décide aujourd’hui de se remémorer cette période, bénite, d’une enfance passée à dévorer devant le téléviseur les premiers clips à succès sur MTV (la chaîne américaine est lancée en 1981 aux États-Unis, et bientôt partout ailleurs), les séries télévisées que l’on partage, à l’école puis à l’âge adulte, avec la plupart des membres de sa génération (peut-être à Cambridge aussi, la ville natale de Bellamy, regardait-on Albator…), ou les blockbusters de science-fiction qui offrent des modèles bien différents de ceux que l’on a l’occasion de croiser dans la vie réelle (ceux de Star Wars, de Retour vers le Futur, de Terminator…)

Simulation Theory, le huitième album du groupe britannique (le dernier en date, Drones, sortait en 2015) rend ainsi hommage, pour sa part, à ces années 80 que connurent l’ensemble des membres permanents de Muse (le bassiste Christopher Wolstenholme et le batteur Dominic Howard sont également nés à la fin des années 70), un album qui se tourne tout entier vers cette culture populaire qui vit émerger les cassettes VHS, les jeux d’arcade, Michael Jackson, les vêtements portés très larges et les cheveux très longs.

Ainsi, outre un son délibérément synthétique (et outrancier, mais ça, c’est une autre histoire…) là pour rappeler les ambiances new-wave des 80’s, Muse a pris le parti d’enregistrer un clip pour chacun des morceaux qui forment l’album Simulation Theory, vidéos qui trouvent leurs occurrences on l’aura compris, dans la culture populaire des 80’s. Réalisés par le californien Lance Drake, certains de ces clips réfèrent ainsi successivement au mythique clip de « Thriller » de Michael Jackson, sorti en 1982 (« Thought Contagion »), à la trilogie de Robert Zemeckis Retour vers le Futur (« Pressure »), ou encore au Matrix des Wachowski (« Algorithm ») – le premier date de 1999, mais ça compte quand même -. Ensemble, les vidéos sont censées former un tout logique, un peu à l’image de ce qu’avaient fait les Pink Floyd en 1982 avec The Wall.

Older things

À cet album qui doit donc être aussi potentiellement considéré comme un film, il fallait donc trouver aussi une pochette, ou, si l’on suit, plutôt, la logique du film, une « affiche ». Afin de pousser le concept dans ses derniers retranchements, Muse a ainsi pensé le visuel de ce Simulation Theory comme une véritable affiche de cinéma, une affiche inspirée, répétons-le encore, des années 80. Et comme le groupe anglais est du genre à avoir les moyens de ses ambitions (les pochettes d’Absolution et de Black Holes and Revelations avaient par exemple été signées Storm Thorgerson, le designer du mythique studio Hipgnosis, notamment responsable des pochettes les plus mythiques des Pink Floyd), c’est une référence absolue du genre que Matthew Bellamy a été sollicité afin de lui confier la mission, primordiale, de l’illustration : Kyle Lambert, designer affichiste notamment à l’origine des affiches et de l’identité visuelle, qui a incontestablement participé à son succès, de la série Stranger Things, hommage fou furieux, là encore, à ces 80’s et à l’imagerie de Steven Spielberg, de Johan Carpenter, ou de Stephen King.

Déjà, sur les affiches qu’il avait envisagé pour la série produite par Netflix, on notait la volonté de se rapprocher de ce que qui avait été fait pour les très grosses productions signées par le duo George Lucas / Steven Spielberg (Star Wars, Indiana Jones), et pour tous ces films marqués cinéma « d’aventure » qui avaient repris, à leur tour (Le Seigneur des Anneaux, entre cent autres exemples), cette esthétique qui consiste à accumuler les personnages et les éléments centraux du film au sein de l’affiche, les personnages principaux bénéficiant, généralement mais pas toujours (on ne sait toujours pas très bien pourquoi Chewbacca et Jabba the Huth bénéficient d’une exposition si grande sur l’affiche de Star Wars épisode VI, le Retour du Jedi…) d’un portait en plus gros plan que les personnages secondaires. Ready Player One, le film hommage de Steven Spielberg au cinéma SF (ou à« son » cinéma SF ?) des 80’s, avait eu aussi récemment la même démarche.

La pochette / affiche du dernier album de Muse, ainsi, regroupe elle aussi les personnages jugés « principaux » figurant au sein des clips dévoilés en amont et au moment de la sortie du disque. Les trois membres du groupe, bien sûr et puisque ce sont avant tout eux les protagonistes centraux de l’histoire, sont les plus visibles (Matthew Bellamy tout en haut avec ses lunettes futuristes, et Christopher Wolstenholme et Dominic Howard juste en dessous de lui). En dessous d’eux, et de gauche à droite, les personnages secondaires : les zombies de « Thought Contagion », l’acteur Terry Crews en mode Ghostbuster dans le clip de « Pressure », l’athlète Laurent Wasser dans le clip de « Dig Down », et enfin Matthew Bellamy himself en loup-garou dans le clip de « Something Human », un clip dont sont également issus les véhicules lancés à toute vitesse visibles sur la droite. Au sommet de l’affiche, enfin, un vaisseau spatial – occurrence ultime à la SF rétro-futuriste d’il y a quarante ans – domine le tout.

Et comme s’il ne suffisait pas de s’être offert la collaboration de celui qui a construit ces affiches tellement réussies de Stranger Things, Muse s’est également offert, pour la version vinyle Super Deluxe de l’album cette fois, les services de Paul Shipper, auteur, pour sa part, de cette affiche de Ready Player One que l’on évoquait, mais également des affiches de Star Wars, épisode VIII ou encore de Blade Runner 2049.

Blade Runner 2049

Star Wars, Épisode VIII – Le Dernier Jedi

Les trois membres du groupe, toujours, y figurent, mais d’autres personnages de l’odyssée musicale et cinématographique de Muse sont représentés à leurs côtés. La même ambiance que sur la version de Kyle Lambert domine toutefois, à ceci près que c’est ici une représentation du cosmos qui domine l’ensemble, de même que sont toujours présentes ces caractères chinois en néons roses (三难困境,). Au-dessus flotte un vaisseau spatial. Flotte également le sentiment général que Muse aura assumé, de bout en bout et plus que quiconque d’autre, cet hommage exacerbé que d’aucuns jugent, déjà, légèrement ringarde…

Muse x  Paul Shipper – Simulation Theory

Le son

En 2015, à des années de lumière des premiers albums indé et nuancés de ses premières années (jusqu’à Absolution, en 2003, tout va bien), Muse imaginait, avec Drone, un album concept au sein duquel les humains auraient été transformés, métaphoriquement parlant, en machines à tuer. En 2018, toujours dans la même veine, Simulation Theory explore le thème de la réalité simulée, soit l’hypothèse selon laquelle l’humain serait plongé dans un monde virtuel, et non une réalité telle que nous l’imaginons (à voir : la trilogie Matrix…) La bande-son de cette réalité autre, ainsi, sonne pour Muse comme un mélange de rock boursouflé, d’électro baroque aux synthés déchaînés, le tout porté par les agitations d’un Matthew Bellamy décidément très à l’aise dans son rôle de prophète new-age aux exubérances vocales, réalité alternative que l’on n’est pas forcément obligés, puisque rien n’a été formellement signé, de cautionner…

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Muse, Simulation Theory, 2018, Warner Music, artwork par Kyle Lambert