Arandel x Gol3m — InBach


À la fin du XVIe siècle, du côté de la cour du Saint-Empire romain germanique alors gouverné par l’empereur Ferdinand 1er, un artiste milanais fait sensation en réalisant quelques portraits dont les contours sont alors dessinés par des végétaux, des animaux ou des objets malignement disposés. L’expérience est inédite, et le succès retentissant.

Arcimboldo, J.-S. Bach… Arandel

Avant-gardiste, et autant inspiré par l’art de la caricature que par celui des maniéristes (une réaction à la perfection picturale atteinte durant la Haute Renaissance dans la représentation du corps humain), Giuseppe Arcimboldo signera quelques chefs-d’œuvres que l’on contemple aujourd’hui encore avec une curiosité étonnée — les reprises, parodies et références à Arcimboldo dans la culture populaire sont innombrables — comme ce portrait de Rodolphe II déguisé en Vertumne (1591) ou bien sûr sa série, extrêmement célèbre, des quatre saisons (L’HiverLe Printemps, L’AutomneL’Été), dont une copie (de l’artiste lui-même) est exposée au Musée du Louvre, à Paris.

Giuseppe Arcimboldo, Rodolphe II déguisé en Vertumne (1591)

En 2019, loin de Milan et de l’époque où une Monarchie élective régnait sur le cœur de l’Europe, le musicien Arandel, dont on avait déjà noté l’excellent album Solarispellis en 2015 (l’identité visuelle « géologique » de l’album était alors signée par Elodie Maynard et Sarah Saulnier de Praingy) a lui aussi pensé au peintre italien au moment de penser l’artwork qui devait illustrer InBach, son album dédié, on l’aura compris, au musicien et compositeur allemand Jean-Sébastien Bach.

Arandel x Elodie Maynard x Sarah Saulnier de Praingy – Solarispellis

« On était initialement parti sur un travail à la Arcimboldo, et un portrait composé à partir d’instruments de musique », dit-il. « C’était risqué ! Puis Alexandre Cazac, d’InFiné, m’a orienté vers le travail d’Étienne Caroff, un graphiste lyonnais qui travaille sous le nom de Gol3m»

Une évocation de Bach plutôt qu’une représentation

Arandel

D’Arcimboldo, Gol3m gardera l’idée de base — la composition d’un visage avec des éléments qui ne le composent pas d’ordinaire —, mais ne poussera pas l’idée aussi loin. Sur le visuel qui sera finalement celui de cet album pensé avec le Musée de la musique (Philharmonie de Paris), le Lyonnais utilise ainsi une silhouette qui n’est a priori pas celle de Bach, et dessine des cheveux avec un clavier, un œil avec un CD, une oreille avec une note.

Arandel, de nouveau : « Je voulais quelque chose de simple, d’emblématique et de facilement reconnaissable. Une évocation de Bach plutôt qu’une représentation. Et comme c’est un album autour des instruments de la Cité de la musique… Étienne a fait quelque chose qui répondait à nos demandes, et en même temps, qui l’a emmené ailleurs. Il y a vraiment quelque chose qui me tape dans l’œil dans son travail. J’utilise de l’analogique pour créer de la musique électronique qui ne l’est pas vraiment. Lui, c’est l’inverse… »

Le son

Premier élément, pour InFiné, d’une collection qui aura pour objectif d’utiliser les instruments présents à l’intérieur du très précieux Musée de la Musique (lié à la Philharmonie de Paris), InBach permet à Arandel de se confronter à l’œuvre forcément intimidante, du compositeur et musicien baroque allemand (1685-1750). Avec un casting impressionnant (Areski Belkacem, Gaspar Claus, Barbara Carlotti, Ben Shemie de Suuns, Vanessa Wagner…), il revisite Bach ou plutôt, comme il le résume, se place « sous sa tutelle ».

Iconoclasme et respect

« Beaucoup de gens m’ont dit : on ne touche pas à Bach ! Et c’est justement parce que je ne suis pas un grand connaisseur de son œuvre que j’ai pu l’approcher avec la naïveté qu’il fallait pour aborder son travail. Je me suis alors servi de Bach comme d’une matière, avec l’envie d’être autant iconoclaste que respectueux de l’intégrité de son œuvre. »

Electronica, technoïde, ambiant, sensible et extrêmement réussi, l’album, qui a nécessité une patience redoutable et un sens aiguë de la collaboration (il en faut lorsque l’on sollicite, autour d’un même projet, autant d’interlocuteurs…), paraît résumer à lui seul l’objectif du label InFiné (qui dresse, depuis plus de dix ans, des ponts entre musiques classiques et électroniques) en même temps qu’il affirme, une fois encore, le très grand talent d’un musicien qui a toujours trouvé dans la contrainte la plus forte (pas de samples, pas de technologie MIDI, le tout joué uniquement en ) la voie de la créativité la plus féroce. Arandel : « Le projet m’a pris deux ans. Ça a été extrêmement long et laborieux. Pour le disque, on a utilisé quinze instruments du Musée de la musique, instruments que je n’ai pas pu jouer parce qu’ils doivent l’être, parce qu’ils sont très anciens et très fragiles, par des musiciens habilités à les utiliser. C’est une véritable satisfaction de voir l’album sortir aujourd’hui… »

Arandel (Facebook / Twitter / SoundCloud)

Gol3m (Site officiel / Facebook / Instagram)

Arandel, InBach, 2020, InFiné, artwork par Gol3m, design par Motoplastic